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la souffrance, et, arrêtant le chirurgien qui allait poser le premier appareil sur sa blessure découverte et sanglante : — Occupez-vous de M. le duc, dit-il. — En ce moment, il était beau. Il y avait sur son visage, à l’endroit de sa blessure, une expression de dureté sauvage et de dédain chevaleresque. Il avait, c’était là du reste sa nature, à la fois du prêtre et du Huron.

Élisabeth, bien des femmes sont faites ainsi, était plus sensible à un regard héroïque qu’à un cri de douleur. En contemplant le visage de Robert, dont elle n’avait point voulu quitter le chevet, parce qu’elle avait toujours eu en elle un ardent désir d’être sœur de charité, elle fondit brusquement en larmes. Ainsi l’avait fait pleurer tout à coup, par une soirée du dernier hiver, la Malibran jouant Tancrède avec ce souffle passionné qui devait l’emporter avant le temps dans la mort.

Le chirurgien déclara que la blessure de M. de Vibraye n’était point mortelle ; mais un os avait été brisé, et une redoutable fièvre pouvait à chaque instant se déclarer. Il fallait au blessé un repos profond et des soins de tous les momens. — Je veillerai sur lui, fit Élisabeth. — Alors, lui dit Robert d’une voix à la fois pénétrante et voilée qu’elle seule entendit, j’aurai les soins, mais le repos !…

Ici je dirai tout de suite que Robert, quoiqu’il eût vécu fort loin du monde, était loin d’être un sot et avait comme une intelligence innée de cet art précieux qui mène, suivant une charmante définition du temps des Lafayette et des Sévigné, à posséder ce qu’on aime avec beaucoup de délicatesses et de mystères. Il avait reçu cette charmante éducation du foyer qui hâte d’une façon merveilleuse la maturité sans tuer la jeunesse chez ceux qu’elle forme à la vie. Son père, qui, au temps de l’émigration, avait été l’un des plus brillans seigneurs de la cour de Coblentz, sa mère, chez qui la rêverie germanique prêtait une grace singulière à l’élégance mondaine, avaient donné à son caractère une rare et aimable originalité. Il savait le monde comme il nous arrive souvent de savoir la langue d’un pays que nous aimons sans l’avoir jamais visité. Il en connaissait certaines recherches, certains tours élégans et purs infiniment mieux que les naturels ; mais il y apportait un accent étranger et en ignorait plusieurs usages vicieux d’une grande ressource dans la pratique. Quoique le Misanthrope et les Maximes de La Rochefoucauld lui eussent appris ce qu’on entendait par la coquetterie, quoiqu’il eût à peu près deviné, par quelques romans du XVIIIe siècle, ce qu’était un roué ; quoique, enfin, quelques faciles aventures et quelques vulgaires orgies semées dans ses loisirs de province eussent assez mal traité les graces candides de sa jeunesse, il avait gardé de la famille, des champs, de la solitude, la simplicité qui l’enleva au monde et le gagna au ciel.

La fièvre qui suit les blessures d’armes à feu se fait quelquefois