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et de progrès, n’était que l’œuvre de la nécessité. On envoyait en Algérie les malheureux que la révolution avait mis sur le pavé, et dont on ne savait plus que faire depuis les barricades des journées de juin.

Aussi, comment a-t-on procédé ? Il fallait des cultivateurs, on a pris des artisans, des ouvriers ; il fallait des hommes robustes, on a pris des hommes d’une constitution chétive, énervés par le séjour des villes ; il fallait des pères de famille, on a pris une foule de célibataires, sans compter les enfans et les vieillards ; bref, on a transporté en Afrique les ateliers nationaux, et on les a fait partir au son des instrumens militaires, comme des régimens, musique en tête et bannières déployées. C’est ainsi que l’on faisait les choses en ce temps-là. Du reste, rien de préparé pour leur installation : des tentes, des baraques mal fermées, des instrumens insuffisans, des emplacemens mal choisis, et, quand les nouveaux colons sont arrivés en Algérie, la saison déjà avancée ne permettait plus les défrichemens ; il restait à peine la ressource du jardinage. Quoi d’étonnant, dès-lors, si la colonisation a eu jusqu’à présent bien peu de succès, et si la commission chargée d’en vérifier les résultats a trouvé sur son chemin si peu de champs défrichés, si peu de travaux entrepris, et tant de spectacles affligeans qui lui ont serré le cœur ?

Chose heureuse cependant et digne de remarque : à mesure que le temps s’écoule, sa force souveraine et salutaire discipline et épure cette société nouvelle. Sans doute, il y a là un fonds qui résistera à toutes les tentatives qu’on fera pour l’assainir, fonds de dépravation, d’orgueil, de lâcheté et de paresse qu’il faut absolument extirper. Il y a là un bon nombre de cultivateurs de nouvelle sorte, qui n’ont pas encore mis la main à la charrue ; grands politiques, grands orateurs de cabaret, pleins des réminiscences de février, organisant des émeutes contre les directeurs de districts, réclamant à tout propos leur droit au travail, et faisant bêcher leurs jardins par des soldats ou des Arabes. Ces gens-là feraient des barricades en Algérie, s’ils le pouvaient ; mais, à côté d’eux et en dépit de leur influence, il s’est formé peu à peu une population plus honnête et mieux réglée, qui a senti l’aiguillon du besoin, qui a compris que l’état ne pouvait tout faire pour eux, que c’était déjà beaucoup d’avoir affecté un crédit de 50 millions au défrichement de quelques hectares de terre, et que le travail était nécessaire pour fertiliser ses dons. Voilà une population qui ressemble à une colonie. En faisant pour elle quelques nouveaux sacrifices, on finira peut-être par l’acclimater. Elle restera sur le sol, surtout si l’on n’envoie pas cette année, à côté d’elle, de nouveaux émigrans qui ne trouveraient rien de prêt pour les recevoir, et seraient encore une nouvelle expérience ruineuse pour le budget.

Un fait que l’on apprendra, dans tous les cas, avec plaisir, en lisant le rapport de M. Louis Reybaud, c’est que, quels qu’aient été les écarts commis en Algérie par cette émigration sortie du volcan de février, quelque fidélité qu’elle ait montrée pour les principes dont elle avait été nourrie, il y a un point cependant au sujet duquel elle a complètement trompé les espérances de ses prédicateurs. Ce point, c’est le communisme. Là-dessus, toute la colonie a été unanime. Bons ou mauvais se sont accordés, dès le début, à repousser comme un fléau la vie en commun, le travail en commun, l’association sous toutes les formes. Leurs répugnances à ce sujet ont été invincibles. Ils ont même poussé