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ouvert, et, dans l’empire des idées, elle pourrait encore développer un jour, avec la plus profonde énergie, un des côtés de l’esprit slave. Nous parlons donc de la Russie comme d’un état qui, dans toutes les hypothèses, dans celle même d’une restauration de la Pologne, resterait appelé à un très grand rôle. Force nous est cependant de reconnaître qu’en donnant à son pouvoir et à son influence une si grande extension au dehors comme au dedans, le czarisme a semé sous ses pas des germes de résistance dont on peut déjà remarquer et suivre le développement. Au moment où le czarisme semble aspirer à combattre la révolution dans toute l’Europe, il éveille chez lui des instincts de constitutionnalité, et, qui plus est, de démocratie radicale, dont il peut avoir un jour quelque chose à craindre, et sur sa frontière, chez les peuples du Danube, il suscite involontairement des dispositions hostiles, qui font beau jeu aux ennemis de l’ordre et de la paix européenne. Il diminue ainsi la force du magnifique instrument de conservation qu’il a dans les mains, s’il veut imprimer à sa politique intérieure une marche moins absolue, et à sa diplomatie une impulsion moins ambitieuse.


II

Au dedans, disons-nous, la nation russe, si profond que soit son respect pour le pouvoir souverain, n’est pas livrée tout entière à l’idolâtrie du czarisme. Le sentiment national, blessé de longue date par les innovations de Pierre-le-Grand, par les habitudes occidentales qui se sont introduites à la cour sous ses successeurs, le vieux sentiment slave a plus d’une fois rompu l’uniformité de cette obéissance ; plus d’une fois l’influence des fonctionnaires allemands a provoqué jusque dans Saint-Pétersbourg des manifestations hostiles. Il est arrivé à l’empereur d’entendre dire à ses oreilles qu’il était lui-même un Allemand. Or cette terreur religieuse, cette soumission mystique que M. Mickiewicz a décrites comme les mobiles actuels de la nation russe, se compliquent du sentiment de race et ne s’adressent qu’à un czar qui soit du sang de la nation et vive de sa vie. L’empereur Nicolas l’a très habilement senti. Aussi, quels n’ont point été ses efforts pour se montrer à ses sujets sous ces dehors, avec ces allures du vieux moscovitisme qui leur plaisent ! Peu de temps après son avènement, on le vit éloigner nombre d’Allemands de son entourage ; il introduisit les costumes nationaux à la cour. On put reconnaître ; que dans son langage en public il recherchait souvent l’archaïsme et ne dédaignait point les expressions même vulgaires qui avaient une couleur nationale. Au fond, l’empereur Nicolas, élevé dans le commerce des princes de Prusse, marié à une princesse allemande, avait beaucoup à faire pour échapper à