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Ce sont en quelque sorte des organes, mais des organes chargés de remplir leurs fonctions hors des individus dont ils émanent, et qui reçoivent dans ce but une certaine part de vitalité qui leur permet de vivre et de se mouvoir pendant quelque temps à peu près comme le fait la queue d’un lézard séparée du tronc. Ces corpuscules sont les instrumens immédiats de la fécondation ; c’est à eux, et à eux seuls qu’est confié l’accomplissement de l’acte qui assure la conservation de presque toutes les espèces animales. Arrêter leurs mouvemens par un moyen quelconque, les tuer, c’est enlever au liquide qui les renferme toute sa mystérieuse puissance. Or, chez les tarets ; les mâles émettent au hasard leur liquidé fécondateur ; les animalcules disséminés dans la masse d’eau environnante sont entraînés par les courans, et toujours quelques-uns d’entre eux, pénétrant dans les branchies des femelles, y rencontrent les oeufs et les vivifient par leur contact. Tuer ces animalcules avant qu’ils aient atteint les neufs, c’est empêcher à coup sûr le développement de ceux-ci. Eh bien ! par des expériences répétées, je me suis assuré que un vingt millionième de dissolution mercurielle versé dans l’eau où s’agitent par myriades des animalcules de taret suffit pour les rendre tous immobiles en deux heures de temps. Un deux millionième de dissolution produit le même effet en quarante minutes, et cette eau, qui auparavant jouissait à un très haut degré du pouvoir fécondateur, en est ainsi entièrement dépouillée. Sans préserver la même énergie, les sels de cuivre et de plomb ont la même propriété. Pour préserver les bois de nos chantiers matins, il n’y a donc qu’à les placer dans des bassins où l’on jettera de temps en temps quelques poignées de ces diverses substances. Toute fécondation sera ainsi arrêtée, et les oeufs périront sans se développer. La suppression des pertes annuelles occasionnées par les tarets couvrira bien vite et au-delà les premiers frais d’installation[1].

Les hermelles de Guettary, les tarets de Saint-Sébastien, se prêtaient admirablement à l’emploi des fécondations artificielles. Pour avoir une couvée de trente à quarante mille oeufs, il me suffisait d’ouvrir un mâle et quatre à cinq femelles et de les vider dans un vase plein d’eau de mer. Cet accouchement forcé ne nuisait nullement au succès de l’expérience. En quelques instans, le mystère était accompli, le travail vital commençait, et, au bout de quinze à dix-huit heures, chaque oeuf était devenu une larve agile qui nageait en tous sens. Armé du microscope, j’ai suivi bien souvent la succession des phénomènes

  1. Ces premiers frais, se bornant à l’établissement d’un mur d’enceinte, seraient évidemment peu considérables. On comprend d’ailleurs que je ne puis entrer ici dans les détails pratiques. Si dans l’application en grand tout se passait comme dans mes expériences, une livre de sublimé ou deux livres d’acétate de plomb suffiraient pour détruire tous les animalcules contenus dans 20,000 mètres cubes d’eau ; mais il est probable que cette proportion devait être augmentée.