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Mes premières courses zoologiques furent assez peu productives. La mer, comme la terre, a son temps de repos, et, arrivé à Saint-Sébastien aux débuts de l’hiver, je pus craindre un moment de ne pas trouver grand sujet d’études. Les roches feuilletées de l’Antigua, les sables et les vases de l’Urumea me montraient de nombreuses traces du séjour d’animaux marins ; mais les tubes, les galeries étaient vides pour la plupart. Leurs habitans avaient émigré vers des régions plus profondes[1]. Déjà je tremblais à la pensée de revenir à vide, lorsque dans un de ces petits golfes que le port des Passages enfonce comme autant de digitations entre les montagnes et les collines, je trouvai des morceaux de bois percés de larges et profondes galeries. Je reconnus l’ouvrage des tarets ; bientôt je découvris les animaux eux-mêmes, et dès-lors je fus pleinement rassuré sur l’avenir de ma campagne ; ce n’était pas trop de deux ou trois mois pour étudier à fond ce singulier et trop célèbre mollusque.

Les tarets sont des mollusques acéphales ; ils appartiennent à la même classe que l’huître, les moules, etc., et pourtant rien de moins semblable au premier coup d’œil. Qu’on se figure une espèce de ver d’un blanc légèrement grisâtre, ayant parfois jusqu’à un pied de long sur six à huit lignes de diamètre, terminé d’un côté par une sorte de tête arrondie, de l’autre par une sorte de queue bifurquée ; tel est l’aspect que présente un taret sorti de son tube et entièrement développé. La tête est formée par deux petites valves assez semblables aux deux moitiés de la coque d’une noisette qu’on aurait profondément échancrées. Elles sont immobiles et ne protégent qu’une faible portion du corps proprement dit. Le foie, les ovaires, sont placés l’un à la suite de l’autre, bien en arrière de ce rudiment de coquille ; les branchies sont rejetées tout-à-fait à la partie postérieure du corps. Le manteau, formant une sorte de fourreau charnu, enveloppe tous ces viscères et se divise ensuite en deux tubes que l’animal allonge ou raccourcit à volonté. L’un de ces tubes sert à introduire l’eau aérée qui va baigner les branchies et porter jusqu’à la bouche les molécules organiques nécessaires à la nutrition de l’animal ; l’autre reporte au dehors cette eau épuisée qui entraîne en passant les résidus de la digestion. Ainsi, dans le taret, les organes, au lieu d’être placés à côté les uns des autres, sont disposés les uns derrière les autres. Ce fait seul entraîne dans leur forme, dans leurs proportions, dans leurs rapports, des modifications

  1. Ces migrations des animaux inférieurs sont encore fort peu connues. À diverses reprises, j’ai pu reconnaître qu’elles étaient aussi rapides et aussi générales que celles des animaux plus élevés dans l’échelle des êtres. C’est ainsi qu’à la fin d’octobre, sur les côtes de Normandie, on ne trouve quelquefois pas un seul oursin là où huit jours avant on les rencontrait par milliers. J’ai fait l’année dernière encore une observation toute semblable sur une des plus curieuses annélides de nos côtes. On voit que ces rayonnés, ces annelés, montrent ici autant d’instinct que nos passereaux de montagne, qui, à l’approche de l’hiver, abandonnent les hauteurs pour les plaines et les vallées.