Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/1058

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un regard sur les aïtas qui s’allongeaient à l’ombre comme des léopards ; je n’aime pas ces Turcs-là.

— Leur chef, Ali-Agha, est de mes amis, répliqua le marchand ; un brave homme, point fier, qui m’a emprunté quelque argent. Il m’a promis, de chercher le voleur. Pour exciter son zèle, j’ai promis une récompense de mille sequins à qui me rapporterait mes perles… Ça n’est pas la dixième partie de ce qu’elles valent… Connais-tu cet Ali-Agha ?

— Non… Et il s’est occupé de courir après le voleur ?

— À l’instant même. Il est parti hier pour arrêter quelques-uns de ses hommes qui ont déserté avec armes et bagages… avec mes pauvres perles aussi, j’en suis sûr.

Là-dessus ils se séparèrent. Le lendemain soir, comme la brise commençait à souffler, le bagglow d’Ismaël levait l’ancre. Les Nubiens, qui formaient la presque totalité de l’équipage, hissèrent, au son du tambourin la voile gigantesque ; la vergue, longue de trente coudées, se dressait lentement, en cadence, par secousses régulières. Enfin, quand le vent s’engouffra dans la masse de toile subitement déployée, la barque s’abattit sur la vague et s’éloigna du rivage. Les derniers rayons du soleil faisaient étinceler les sables de la côte d’Arabie ; encadrée entre la mer et un vaste horizon de montagnes, la ville de Moka ne présentait plus qu’une ceinture de murailles flanquées de tours au-dessus desquelles se détachaient çà et là l’aiguille d’un minaret, le panache vert d’un dattier ou le feuillage glauque d’un térébinthe.

De Moka au détroit de Bab-el-Mandeb, on ne compte que douze lieues ; poussé par une brise favorable, le bagglow franchit cette distance pendant la nuit. Quand Ismaël parut sur le pont, il fut quelque peu surpris d’apercevoir à la proue de son bâtiment un passager qu’il ne se rappelait pas avoir pris à bord. L’inconnu portait, à la manière des musulmans de l’Inde, le pantalon court et large, la tunique blanche agrafée sur le côté gauche, et au lieu de turban, une calotte pointue qui laissait surgir librement une paire de longues oreilles. Aux questions que lui adressa Ismaël, il répondit avec beaucoup d’humilité en déclarant qu’il était un pauvre pèlerin hindou revenant de la Mecque. Embarqué furtivement la veille au matin, il avait dû se tenir caché dans la cale pour éviter que le capitaine ne le renvoyât à terre. — Au nom du Dieu clément et miséricordieux, ajoutait-il, je me recommande à votre charité. Un pèlerin tient peu de place et porte bonheur à qui lui accorde l’hospitalité sur mer comme sur terre. — Les matelots, à qui il avait donné quelque argent pour être reçu à bord, parurent fort édifiés de ses paroles ; de son côté, Ismaël ne vit pas grand inconvénient à laisser s’arranger en un coin du tillac ce pauvre diable, vagabond ou pèlerin. D’ailleurs, la présence d’un indigent embarqué de contrebande