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et du mal bien dit. Ainsi la presse nourrit en nous la vanité, ce travers qui dissout les nations, tandis que l’orgueil les fait durer. Nous aimons trop le bien-dire ; noble faiblesse, qui a plus d’un beau côté, mais qui nous coûtera bien des gouvernemens. Nos orateurs nous font épouser leurs susceptibilités ; les abonnés d’un journal sont des vassaux ; ils sont tenus au service de guerre, et ils se laissent bravement mener contre leurs propres maisons.

Les révolutionnaires, j’entends ceux qui ne veulent d’aucun gouvernement, ne sont pas si coupables que nous les faisons. Évaluez leur part dans l’œuvre de destruction ; c’est de beaucoup la plus petite. On dit que les plus étonnés de la victoire de février ont été les vainqueurs. Apparemment, ce n’est pas modestie ; ces gens-là ne passent pas pour s’estimer trop peu ; il suffit, pour être allé sur les barricades, qu’on y ait été représenté par quelqu’un du parti. Que signifie donc cet étonnement ? Il est à leur honneur. Ceux qui s’étonnent d’avoir été vainqueurs sont tout simplement trop honnêtes pour croire qu’ils se sont battus. Le vainqueur de février, hélas ! c’est la bourgeoisie, c’est nous ; et si nous laissons d’autres s’en vanter, c’est que l’affaire ne nous a pas été bonne. Disons-nous donc honnêtement nos vérités. Nous seuls, oui, nous bourgeois, nous faisons et défaisons les gouvernemens. Le peuple nous y aide ; mais ce n’est pas lui qui commence ; il pousse nos cris, il va au feu sous notre drapeau. L’anarchie ne nous déplaît pas tant qu’il nous semble, car nous aimons tout ce qui nous y achemine. La mobilité, l’esprit de dénigrement, le manque de respect, sont autant de pentes vers l’anarchie. Nous ne respectons pas nos gouvernemens, et voilà peut-être ce qui leur donne l’idée de ne pas respecter eux-mêmes. La pire des tentations pour une femme vertueuse, c’est de savoir qu’elle ne passe pas pour l’être. De même, rien n’est plus propre à dégoûter les gouvernemens d’être honnêtes que de se voir calomniés !

Je sais bien ce qu’on peut dire pour diminuer le mérite de la bourgeoisie anglaise. Il est très vrai que, plus indépendante de la politique générale de l’Europe, l’Angleterre peut porter plus d’attention sur elle-même ; qu’ayant plus de liberté d’esprit pour s’étudier, elle a plus de chances de se connaître ; qu’elle peut suivre avec moins d’inquiétude et juger avec plus d’impartialité son gouvernement, n’en ayant rien à craindre, pour son indépendance extérieure ; il est très vrai aussi que les qualités politiques de sa bourgeoisie ne sont pas de purs élans de vertu ni des perfections de saints. Qui dit politique dit calcul. Donnez-moi la bonne conduite, et je vous tiens quitte de la vertu.

Un peu le calcul se mêle toujours aux plus belles qualités et n’y gâte rien. Quand un galant homme fait réflexion sur ses vertus, qu’il voit la paix intérieure qu’elles lui donnent, la considération qu’il en