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progrès et la durée, la paix avec tout l’éclat que donnent aux nations les guerres heureuses : est-ce tout ? Attendez. Nous le voulons de plus infaillible, nous ne lui passons aucune de nos faiblesses, nous exigeons de lui les vertus que nous n’avons pas. Que de fois n’a-t-on pas vu les hommes les plus âpres au gain, ces gens d’Horace, qui font leur affaire de toute façon,

Facias quoecumque modo rem,


gens à vendre leur débiteur sur la place du Châtelet, si la loi française le permettait, s’indigner contre le manque de désintéressement du pouvoir ! Quel gouvernement, quel homme serait assez habile pour contenter de telles exigences, assez vertueux pour ne jamais choquer de telles délicatesses ? Il n’y a, sachons-le bien, ni oncle ni neveu qui puisse nous bien gouverner sans nous. Quant aux constitutions, celle qui nous vient de février, et que je n’ai pas d’ailleurs beaucoup méditée, n’a rien fait si elle nous laisse tels que nous étions, exigeans, négatifs, à l’affût des fautes, dupes de gens d’esprit qui mènent joyeuse vie à nous brouiller avec tous nos chefs, et perdant les gouvernemens tout à la fois par l’idée que nous leur donnons du besoin qu’on a d’eux, et par l’impitoyable guerre que nous leur faisons sitôt qu’ils fléchissent sous le poids dont nous les avons chargés.

C’est à nous, — qu’on me pardonne la citation ; on n’est pas classique sans un peu de pédanterie, c’est à nous que Démosthène disait il y a deux mille ans : « Voulez-vous toujours aller vous demandant sur la place publique : Philippe est-il mort ? Mort ou malade, vos fautes vous en auraient bientôt fait un autre. » Ainsi nous allons nous-mêmes nous questionnant, j’entends les modérés ; les autres tranchent : Que fait le chef de l’état ? que veut-il ? où va-t-il ? Eh ! sachons donc ce que nous faisons nous-mêmes, ce que nous voulons, où nous allons. C’est nous qui faisons nos gouvernemens. S’ils ont la tentation de se passer de nous, à nous la faute. Pendant que nous cherchons, le pouvoir suit ses vues. Nous allons, ou plutôt nous nous agitons d’un côté ; lui, il va d’un autre, et la séparation s’accomplit. Démosthène pensait encore à nous dans cet autre endroit de sa Philippique : « Qu’arrivera-t-il nous dit-il, si nous restons dans nos murs, oisifs auditeurs de harangueurs qui s’accusent et se déchirent à l’envi ? » - Nous aussi nous avons nos harangueurs, et nous avons, en outre, nos journaux, nos vrais flatteurs, comme les harangueurs l’étaient du peuple athénien. « Quelle motion, lui disaient ceux-ci, vous plaît-il que nous fassions ? » Nos journaux n’ont pas à nous demander ce qui nous plaît ; ne le savent-ils pas ? Ce que nous voulons, c’est lire, chaque matin, un peu de mal du gouvernement pour le répéter. Et si l’article est de beau style, voilà qui nous plaît doublement ; car c’est du mal de nos chefs,