Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 4.djvu/994

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

créancier le plus dur est quelquefois le débiteur le plus exact du pauvre. Il est peu de villes où l’on ne compte un ou plusieurs de ces établissemens, et il est telle ville dont le seul monument est une maison de charité. Ici, ce sont les orphelins de la marine, là, ceux du clergé ; j’en vois pour les veuves, j’en vois pour les invalides d’un corps d’état, d’un métier qu’ils ont honoré sans y trouver du pain pour leur vieillesse. La charité multiplie ces classifications ; l’imagination même s’en mêle ; on fait des découvertes de misères singulières dans la misère générale, et quiconque est serf de cette misère spéciale est secouru. Ce sont des bizarreries anglaises ; n’en rions pas ; je passe volontiers au bienfaiteur son humeur pour son bienfait. Ces établissemens ne sont pas seulement bien situés et d’ordinaire dans la partie la plus aérée des villes ; l’architecture en est de bon goût et bien appropriée : c’est le cachet particulier de l’Angleterre contemporaine, que ses plus beaux édifices sont ses maisons de charité et les gares de ses chemins de fer. L’art s’inspire de son double génie, le génie de l’industrie, et le génie de l’assistance publique, le second né des excès du premier et qui l’absout.

Quelques-uns de ces établissemens portent écrit au frontispice : Souscription volontaire ; non pour montrer la main qui donne, mais pour inviter celle qui ne donne pas. Telles de ces souscriptions sont des dettes perpétuelles ; elles se transmettent aux héritiers comme une charge de succession, et c’est la première qu’on acquitte. Les noms des donataires sont gravés sur des tables de marbre dans le parloir ; ils en attirent d’autres. Tout cela se fait sans l’état ; l’état, cet être de raison sur lequel nous voudrions ici nous décharger de tout le bien à faire en ce monde. Pourtant bon nombre de maisons de charité se qualifient de royales. Le roi n’y est pour rien, mais on rend cet hommage au principe conservateur de toutes choses, à la clé de voûte sans laquelle tout croulerait, la maison du pauvre comme celle du riche. Je ne sache pas, en ce genre, de titre plus caractéristique que celui-ci : Hôpital royal libre pour les nécessiteux malades[1]. L’Anglais, pauvre et malade, peut entrer sans honte dans cette maison : les deux plus grandes puissances de son pays, la liberté et la royauté, lui en ouvrent la porte.

On a évalué le budget de la charité légale en Angleterre ; le budget de la charité libre est incalculable. L’aumône individuelle ne reste pas en arrière de la charité collective : elle n’est pas moins ingénieuse et elle est plus aimable ; c’est quelquefois sous les traits d’une jeune fille qu’elle se présente chez les pauvres gens. La permission d’aller porter des secours à des indigens est souvent la récompense de quelque

  1. Royal free Hospital for the destitute sick, etc., dans Grays’inn road, à Londres.