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Français, Italiens, soutenus par l’espérance, cette consolation éternelle de l’exil n’ont point dit adieu pour toujours à leur patrie ; ils savent qu’au jeu des révolutions chaque parti gagne à son tour. Cela est vrai surtout pour la France ; à chaque bouleversement qui ébranle chez nous la société, le même flot qui emporte des îles un groupe d’émigrés en ramène un autre. Depuis 1793 jusqu’en 1848, combien de fugitifs ont abordé cette terre de paix ! Gentilshommes vendéens, chef de chouans, princes de la famille des Bourbons, ministres des rois détrônés républicains des émeutes qui troublèrent le dernier règne, socialiste du 15 mai et du 24 juin, tous les représentans des opinions qui se sont partagé la France depuis soixante ans ont passé sur ce petit pays. Celui qui aurait recueilli les confidences de ces personnages si divers, les uns illustres, les autres inconnus, pourrait écrire l’histoire secrète et intime de notre pays durant la première moitié du XIXe siècle. Que l’on ne croie pas cependant que tous les réfugiés politiques trouvent dans la société jesyaise le même accueil. Ceux qui ont souffert pour de nobles causes ceux que l’ingratitude des peuples a chassés, ceux que recommandent de grandes infortunes et dont on prononce le nom avec respect, ceux-là sont reçus avec des égards dus à leur rang et à leurs personnes ; on leur prodigue volontiers les titres que de nouvelles lois leur ont tout à coup retirés ; on s’applique à les consoler dans leur malheur ; on les visite, on s’empresse autour d’eux, on leur dit sur tous les tons : — Soyez les bienvenus ! — A ceux qui professent des opinions ou des doctrines moins en harmonie avec les traditions de ce pays local, on dit : — Entrez quand même ; puisse l’aspect d’un peuple laborieux et pacifique calmer vos fureurs ou apaiser vos impatiences ! — Et l’air de la liberté est si sain à respirer, que les plus turbulens ne tardent à devenir calmes. Qui les écouterait d’ailleurs, s’ils s’avisaient de pérorer ? Quel journal voudrait se rendre complice de leurs dangereuses prédications ? Le moins qu’ils puissent faire pour reconnaître l’hospitalité qui leur est accordée, c’est de respecter le pays où ils la reçoivent si génreusement. Et puis, n’oublions pas ceci : le gouverneur a le droit de renvoyer dans les vingt-quatre heures quiconque se conduit mal, et cela sans même dire ses raisons !

Telle qu’elles sont aujourd’hui, ces îles nous offrent donc l’exemple bien rare d’un peuple content de son sort et qui ne demande qu’à rester ce qu’il est. Par leur position géographique, elles se trouvent à l’abri des agitations qui bouleversent le continent ; par leur industrie commerciale et agricole, elles savent profiter de tous les avantages que leur procurent des prérogatives exceptionnelles et de précieuses immunités. Jalouses d’une indépendance qu’elles doivent en quelque sorte au hasard, elles respectent l’édifice de leurs anciennes lois, même dans ce qu’il a de suranné. Ce qu’il y a d’aristocratique, de féodal, si l’on