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campagnes et des champs, simple et satisfaite de peu. Ce qui manque à Guernesey, ce sont ces vallées profondes et boisées, ces belles plages tournées au midi, ces manoirs sans nombre qui répandent un charme tout particulier sur Jersey, en variant à l’infini les points de vue et en multipliant les détails du paysage. Guernesey ressemble moins à un morceau de la Normandie séparé du continent par un cataclysme qu’à une île véritable sortie du milieu des flots. Elle a aussi des aspects plus sauvages, plus saisissans ; mais presque partout on y voit et on y entend les vagues de la mer. Sa capitale, Saint-Pierre, se distingue par une cathédrale gothique du style normand le plus pur ; les constructions qui l’entourent se groupent autour d’elle comme dans nos vieilles villes de France ; ses fortifications un peu lourdes lui donnent un air triste et revêche, en sorte que cette petite cité rappelle Granville ou Saint-Malo autant que Saint-Helier ressemble à un port anglais de la Manche. Auregny, Serk et Herm relèvent des états de Guernesey ; la première de ces trois petites îles, dont la circonférence est de quatre lieues, touche presque Cherbourg ; elle a, comme nous l’avons dit, le privilège d’être la patrie des belles vaches. Il y a quelque temps, un de ces animaux ayant été tué par mégarde, il se fit à Auregny presque autant de bruit que si l’un des bœufs sacrés d’une pagode de Benarès eût péri sous les coups. d’un infidèle. Serk et Herm ne sont plus, comme au temps de Rabelais, des îles de forbans, de larrons, de meurtriers et d’assassineurs, mais de tranquilles îlots où les riches Anglais qui aiment à se promener pendant l’été sur leurs yachts se réunissent, parfois en partie de plaisir Malgré le contingent, bien faible il est vrai, que lui fournissent ces îles, l’état de Guernesey renferme une population moins nombreuse que celle de Jersey. L’affluence des étrangers y est aussi moins grande ; la preuve, c’est qu’il leur est permis d’y acheter des terres, tandis que, pour posséder des biens à Jersey et pour en acquérir, il faut être né dans l’île.

Cette restriction étonne d’autant plus qu’elle ne s’applique point aux Anglais, seuls étrangers qui soient tentés de se fixer à Jersey, et dont la présence puisse influer sur la destinée du pays. Que sont les autres en effet ? Des passans, des proscrits, des banqueroutiers, et pis que cela quelquefois, tous gens qui viennent demander aux îles de la Manche un asile et rien de plus. S’en est-il établi beaucoup à Guernesey ? Je ne le pense pas ; pour la plupart, au contraire, ils restent à Jersey, tout en sachant qu’ils ne peuvent habiter cette île que viagèrement pour ainsi dire. D’abord les malfaiteurs, échappés à la prison ou évadés du bagne, qui abordent de nuit dans l’île, sachent aussitôt dans l’intérieur et vont travailler dans les fermes ; ils craignent que la police retrouvant leur trace, l’extradition ne les ramène entre les mains de la justice. Les émigrés, les réfugiés politiques, Polonais, Espagnols,