Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 4.djvu/937

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les discipliner et de les dresser aux manœuvres parlementaires. Ce soin, un des plus importans pour un bon ministre de l’intérieur, a toujours été négligé par M. Pinelli, homme de courage, d’une remarquable fermeté et précieux pour les circonstances difficiles, mais impatient du labeur quotidien, poco curante, comme disent les Italiens. Aussi fallait-il voir ces séances décousues et ces débats incohérens du palais Carignan : le spectacle en était curieux. Entre la droite et le cabinet, le défaut d’entente préalable et de i’apports suivis a plus d’une fois engendré de déplorables quiproquos et fourni un appoint à l’opposition. De ce côté de l’assemblée siégeaient néanmoins des hommes éminens et les plus capables de se mettre à la tête d’un grand parti conservateur : MM. Balbo, de Cavour, Thaon de Revel, etc… Malheureusement les soldats manquaient à ces chefs ou se dérobaient à leur impulsion. Par un contraste frappant avec l’aspect désert des bancs de la droite, le centre gauche et la gauche présentaient un front de bataille serré et des rangs complets. Là se carraient et péroraient, le poing sur la hanche, au milieu d’un état-major de tribuns barbus, les héros du ci-devant ministère démocratique, aujourd’hui leaders de l’opposition, les Sineo, les Ratazzi, les Tecchio, les Cadorna, médiocrités bruyantes et prétentieuses. Seuls, MM. Buffa et Brofferio méritent d’être distingués dans cette foule inepte. Le premier, homme de sens et plus modéré que ses anciens collègues, a cherché, dans ces derniers temps, à former une sorte de tiers parti qui, s’il se fût solidement constitué, eût permis au ministère de marcher ; le second, qui unit à beaucoup d’esprit naturel une véritable éloquence, a du moins le mérite de la franchise en se déclarant ouvertement républicain ; mais ses saillies lui font une sorte de situation excentrique, et il est loin de posséder sur la montagne l’influence que procure à son collègue Valerio l’habitude de l’intrigue et des voies tortueuses.

En somme, si l’on excepte M. Brofferio, aucun talent de parole ne s’est encore produit à la chambre des députés de Turin ; on ne saurait donner ce nom aux filandreuses harangues, aux déclamations furibondes qui, à propos du plus léger incident, remplissaient des séances entières. Le règlement intérieur de la chambre, pour prévenir sans doute ces excès de parole, a établi que les orateurs pourraient parler de leur place, à l’imitation des Anglais. La tribune ne sert absolument qu’à la lecture des rapports, des pétitions et des projets de loi. Cette précaution n’a rien empêché. Pour parler debout et de sa place, on ne fait pas grace d’une syllabe ; bien plus, l’assurance que donne ce mode de discussion familier et moins apprêté fait éclore sur les bancs une foule de petits Demosthènes qui, sous forme d’interruption, improvisent à chaque instant des Philippiques, et qui n’eussent probablement jamais ouvert la bouche, s’il leur eût fallu monter les degrés de la tribune. Eclairé par l’expérience, le parlement piémontais ferait une réforme salutaire en substituant à la méthode anglaise le mode de discussion usité dans nos assemblées. Si la tribune a quelque chose de trop solennel, au moins exige-t-elle une préparation. Le débat ne peut y être porté qu’après avoir été préalablement mûri, et il importe à la considération nationale qu’il se distingue de la discussion préliminaire des bureaux par une forme plus arrêtée et plus précise.

Plusieurs mois viennent de s’écouler pendant lesquels l’action du gouvernement