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et sauvé les princes allemands de leur ruine. Or la Prusse voulait changer cette protection momentanée en protectorat ou même en empire héréditaire. Cela déplaisait fort aux princes allemands, à ceux du midi par de vieilles antipathies de race, de religion et de dynastie, à ceux du nord par le goût naturel de l’indépendance. Aussi, quand l’Autriche, après la défaite de la Hongrie, reparut en Allemagne, elle fut accueillie comme une libératrice par les princes allemands. Du moment qu’ils n’étaient plus protégés seulement par la Prusse, mais aussi par l’Autriche, concurremment avec la Prusse, ils se sentaient à l’aise.

La Prusse, ménageant toujours l’opinion libérale qu’elle se souvient d’avoir représentée en Allemagne, se donnait et se donne encore pour l’héritière sous bénéfice d’inventaire du parlement de Francfort et à l’unité germanique. Elle ôte à cette unité tout ce qu’elle avait d’âpreté démagogique ou de chimère académique, et elle a la prétention d’en faire un système applicable ; mais elle sous-entend, on le croit du moins, que le système sera appliqué à son profit. L’unité germanique, qui n’a jamais plu aux princes allemands, quand ils devaient, pour la plus grande gloire de cette unité, être médiatisés sous le joug du parlement de Francfort, ne leur plaît pas davantage, quand ils doivent, pour la plus grande gloire aussi de cette unité, être médiatisés sous le joug de la Prusse. Ils ont donc invoqué l’Autriche, et l’Autriche, reprenant volontiers ses vieilles traditions, s’est faite, d’une part, la protectrice des petits princes allemands, comme elle était autrefois la protectrice de la noblesse immédiate ; de l’autre, elle s’est faite l’adversaire de la pensée libérale que contient le système prussien. En un mot, l’Autriche aujourd’hui représente purement et simplement le pacte fédéral de 1815, en offrant de le modifier ; la Prusse représente la pensée du parlement germanique de 1848, en offrant aussi de la modifier et l’avant même déjà beaucoup modifiée à son profit.

1815 et 1848, voilà, au premier coup d’œil, les deux acteurs qui sont en présence et entre lesquels la lutte semble inévitable. On pourrait même dire que le jour est pris pour cette lutte, car la Prusse a convoqué les collèges électoraux de l’Allemagne, pour élire les députés au parlement allemand. Le jour de la convocation est fixé au 31 janvier. L’Autriche et les princes allemands résistent à cette convocation. C’est vouloir, disent-ils, rendre l’essor à la révolution ; c’est au contraire, dit la Prusse, faire une juste part à l’esprit libéral allemand, et c’est finir l’ère des révolutions par une transaction légitime. Comment empêcher la lutte qui paraît si proche ? Quelques personnes cependant persistent à croire que tout finira par un arrangement entre la Prusse et l’Autriche. Le jour où les deux gouvernemens voudront s’entendre, ils seront les maîtres. Cela dispose grandement à la bonne intelligence, et, au lieu de se disputer à qui appartiendra la prépondérance en Allemagne, ils se la partageront. Ce dénoûment ressemble à celui d’une fable de La Fontaine. Il n’en a pas moins de chances pour être le vrai.