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c’est que les déclarations, grace aux mœurs du pays, ont un caractère très réel de sincérité. L’Angleterre est une nation aristocratique qui met son honneur à dire vrai : ce peuple donne et tient religieusement sa parole. Il n’est pas d’un gentleman de trahir la vérité, et un homme qui ment dans son intérêt, même au détriment du fisc, se déshonore. Ajoutez que le crédit est la grande affaire pour un Anglais dans toutes les conditions et dans toutes les circonstances. Il craint de paraître pauvre, parce que la pauvreté est une honte en Angleterre et parce que, si on ne le croyait pas dans l’aisance, il ne trouverait plus à emprunter. De là cette propension universelle à déclarer plutôt un revenu trop fort qu’un revenu trop faible. On enfle son revenu, en présence du fisc, parce que le fisc, c’est tout le monde ; on accuse une fortune qui n’existe pas, afin de retenir, de soutenir ou d’augmenter son crédit. Aussi, les résultats de l’income tax en Angleterre ont-ils dépassé les espérances du ministre qui l’avait rétabli, et semblent-ils annoncer un revenu national qui est, à quelques égards, une fiction et une hyperbole.

En France, le système des déclarations aurait des résultats tout différens. D’abord, on ne se fait pas scrupule, chez nous, de tromper le fisc : la fraude, en pareil cas, est un tour d’adresse ou un usage reçu, et que nos mœurs sont loin de flétrir ; puis, les nécessités du crédit ne se font sentir que dans une sphère très restreinte. Le crédit a presque toujours besoin de s’appuyer sur un gage matériel, sur une hypothèque ou sur une couverture ; il est rarement accordé à la bonne opinion que l’on a de l’emprunteur. De là vient que chacun, au lieu de se prétendre riche, est bien aise de passer, sinon pour absolument réduit à la pauvreté, tout au moins pour doté d’une médiocre aisance. Le Français dissimule sa fortune, pendant que l’Anglais expose la sienne et la drape, tant qu’il peut, au soleil. Un impôt assis uniquement sur la déclaration du contribuable produirait donc chez nous bien peu de chose.

Dans la Grande-Bretagne, on a simplifié la difficulté des déclarations en ne s’adressant qu’aux moyennes et aux grandes fortunes. L’impôt sur le revenu n’embrassant que les revenus de 150 livres sterling (3,825 francs) et au-dessus, la juridiction du fisc s’étend à peine sur cinq cent mille contribuables. C’est l’impôt du patriciat établi et accepté, malgré quelques dissidences de détail, comme une sorte de contribution volontaire.

Le projet de M. Passy diffère à cet égard de l’acte de sir Robert Peel, comme la France de l’Angleterre. Il s’adresse à la multitude dans un pays d’égalité. En prenant pour limites extrêmes de la taxe sur le revenu les hases de l’impôt personnel, il se résigne à avoir affaire à sept millions de contribuables. Sept millions de déclarations, et autant de familles dont il faudra que les jurys municipaux épluchent la fortune,