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de son temps, résumant elle-même, dans sa physionomie vivement caractérisée, ce qu’offrent de plus dramatique ces dramatiques époques, n’eût pas encore les honneurs d’une histoire particulière, d’une monographie de famille, et ne figurât que dans des tableaux détachés on dans les histoires générales. Sur les pas de l’érudition bénédictine, M. René de Bouillé vient de combler cette lacune. Il nous rend, dans un cadre spécial, ciselé avec un soin d’archéologue, d’érudit et de grand seigneur, ces vigoureuses et énergiques figures, ces gigantesques factieux, comme il les appelle, ces hommes dont la destinée étrange fut de contrarier la royauté en se faisant les champions de l’absolutisme, de donner l’exemple de la résistance en défendant les bases primitives du pouvoir, et de préparer, par des luttes sanglantes, par des ambitions implacables, la réaction de la monarchie contre la noblesse féodale, œuvre habile mais dissolvante, à laquelle préluda Louis XI, qu’accomplit Richelieu, qu’acheva Louis XIV, et qui ne fut, en réalité, que le premier désarmement de la monarchie elle-même, bientôt menacée par les idées envahissantes et les préliminaires de révolution. Ce caractère des Guise, derniers représentans du moyen-âge, apparaissant dans le lointain de l’histoire, debout sur des ruines qu’ils défendent et qu’ils multiplient par leurs efforts mêmes, types d’une société qui meurt et dont ils accélèrent l’agonie en essayant de la sauver, ce caractère singulier, mis en relief par tant de grandes actions, d’émouvans épisodes et de péripéties tragiques, donne à leur histoire un intérêt à la fois politique et romanesque dont M. de Bouillé s’est emparé avec bonheur, et qui désigne son livre aux sympathies de tous les lecteurs sérieux. Nous ne lui adresserons qu’une critique, c’est d’avoir fait parfois de l’érudition trop consciencieuse, trop détaillée, d’être trop resté ou trop devenu bénédictin, de n’avoir pas assez profité de ses avantages d’homme d’esprit, d’écrivain ingénieux, des ressources mêmes que lui offrait sa science, pour condenser davantage ses récits, pour les concentrer de temps à autre, et les fixer en une forme vive, concise, où un trait résumât le groupe, où un mot résumât l’idée.

Pouvons-nous songer à cette faculté précieuse de concentration et de netteté, à ce talent de ramener à quelques lignes essentielles et ineffaçables les flottans horizons de l’histoire, sans que le nom de M. Mignet arrive irrésistiblement sur nos lèvres ? L’éminent écrivain vient de conquérir un nouveau titre, à cette renommée si pure, si incontestée, que lui a faite un talent demeuré sobre, littéraire et délicat au milieu des séductions et des ivresses de son temps. L’éloge de M. Rossi restera parmi les morceaux les plus achevés qui soient sortis de cette plume, dont la parcimonie ingénieuse devrait faire rougir tant de prodigues. Que de richesses et d’écueils, que d’intérêt et de péril dans la biographie de cet homme illustre, cosmopolite de la liberté sage, de la civilisation élégante, pèlerin enthousiaste de toutes les conquêtes de l’intelligence moderne, devenant le martyr de ce qu’il a cru, la victime de ce qu’il a aimé, et trouvant mort glorieuse dans l’excès criminel et insensé de tout ce qu’avait recherché sa vie ! Ne dirait-on pas ces sublimes inventeurs du moyen-âge tués par une découverte pour laquelle leur siècle n’était pas mûr, et condamnés par le fanatisme avant d’être discutés par la science ? Quel tact, quelle sûreté de main ne fallait-il, pas pour apprécier sans injustice les idées qui avaient occupé une pareille vie, pour en séparer sans violence les