Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 4.djvu/916

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de notre triste époque littéraire d’avoir vu fleurir sur les gouffres révolutionnaires, au milieu des secousses d’une ame égarée par les passions et le sophismes de son temps, ces trois gracieuses et naïves fleurs des champs, la Mare au diable, François le Champi, et la petite Fadette ? Ces trois fraîches pastorales, qu’on dirait écloses, sous un sourire de printemps, dans une imagination calme et recueillie, sont venues fort à propos remplir la lacune que menaçaient d’établir dans le talent et la renommée de Mme Sand ses romans socialistes. Peut-être un observateur ombrageux pourrait-il trouver encore à la chicaner sur cette prédilection pour les mœurs champêtres, pour les vertus et les grandeurs abritées sous le chaume, voire pour ce patois berrichon que Mme Sand a toit de préférer à cette langue française qu’elle parlait autrefois si bien. Peut-être se cache-t-il dans tout cela un peu de dédain ou d’antipathie pour les mœurs, les caractères et la langue de ces classes élevées qui n’ont jamais joué un très beau rôle dans les inventions de l’éloquent écrivain. Pourtant on se sent désarmé devant cette fraîcheur délicieuse d’inspiration et de couleur, cette émotion communicative qui va du paysage au personnage, et les unit, pour ainsi dire, dans un pittoresque et harmonieux ensemble. Ce commerce si intime et si sincère avec la nature, ces facultés descriptives toujours vraies, toujours renaissantes, cet art si réel et si caché d’éviter toute afféterie, toute fadeur dans des sujets où la moindre dissonance rappellerait Berquin et Florian, toutes ces charmantes qualités des trois récits dont nous parlons étaient assez difficiles à transporter sur le théâtre, et l’on pouvait craindre que cette vague senteur des traînes et des prairies ne disparût dans cette périlleuse épreuve qui n’admet rien que de précis et de nettement accusé. Pourtant le succès de Français le Champi a été très réel. Ce pauvre Champi, cet enfant trouvé, revenant au moulin de sa bienfaitrice, d’où il a été chassé autrefois par la jalousie d’un mari brutal et libertin, y rapportant l’aisance et la santé, son trouble en face de cette femme qui ne l’aime que comme un fils et qu’il ne croit aimer que comme une mère, ses innocentes roueries pour déjouer les manœuvres de la méchante Sévère, la coquetterie inquiète de Mariette, le personnage de Jean Bonn in, ce type du paysan à la fois bête et madré, dont la finesse et le bon sens rustique se révèlent peu à peu sous sa grosse enveloppe de bêtise, tout cela forme un ensemble qui n’est pas précisément un drame, mais qui intéresse, attache, attendrit. Il y a même dans la gaucherie de ces scènes un peu décousues, dans la simplicité de ces effets obtenus par des entrées ou des sorties un peu complaisantes, quelque chose qui s’accorde bien avec le ton général du tableau, une absence de métier qui ne déplaît pas, une saveur rustique qui ne manque pas de charme. En somme, si ce succès n’est pas très concluant, s’il ne prouve pas encore que Mme Sand soit un poète dramatique, on doit se féliciter qu’une œuvre si calme, si reposée, Si étrangère au mouvement et aux combinaisons ordinaires, ait été accueillie avec tant d’intelligence, de sympathie. Seulement, nous croyons que Mme Sand, après avoir popularisé par le théâtre un de ses trois charmans récits, ne doit pas pousser plus loin cette veine, que cette étude du vieux patois de nos campagnes, bien que curieuse et habilement faite, lasserait à la longue, et qu’après tout l’auteur d’André et de Valentine n’a pas assez à se plaindre de la langue française pour lui garder si long-temps rancune.