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Avant de répondre à ces questions, rappelons-nous bien que le principe fondamental de la conduite politique est le même que le principe fondamental de la guerre ; il consiste à porter la majeure partie de ses forces disponibles sur le point décisif du théâtre de la guerre ou du champ de bataille. Il faut donc que chaque parti fasse son examen de conscience et se demande si, sur le point décisif des élections de 1852, il est capable d’entraîner avec lui la majeure partie des forces de l’armée de l’ordre. Voilà la question. C’est à la fois une question d’habileté, de patriotisme et de moralité : d’habileté, puisque le succès le plus important auquel nous puissions prétendre immédiatement en dépend, de parti patriotisme, puisque le sort de la France est en jeu ; de moralité, puisqu’une fausse manœuvre, exécutée sciemment, serait une trahison contre la civilisation et la patrie. Je pose d’abord la question aux légitimistes.

Personne, en France, ne souhaiterait plus vivement que nous que le pouvoir pût se reconstituer sur la base légitimiste. Lorsqu’on porte et qu’on nourrit dans son ame une étincelle du génie de la France, quand on aime ce grand pays autant qu’on peut l’aimer, c’est-à-dire dans toutes les gloires de son passé, quand on estime à sa juste valeur l’honneur d’être un enfant de cette race splendide entre toutes les nations qui, depuis Charlemagne jusqu’à Louis XIV, a enfanté tant de grands hommes et s’est conquis un si grand nom, je déclare qu’il est impossible de voir sans un douloureux regret que la France actuelle soit découronnée de ses institutions séculaires. Nous nous faisons du patriotisme une idée bien plus large que les grossiers révolutionnaires : il y a une patrie matérielle et une patrie morale. Nous comprenons, nous, dans la patrie morale, toutes les institutions traditionnelles qui ont été les instrumens grandeurs de notre pays et les organes de sa vie. Nous déplorons le renversement impie de ces institutions comme une déchéance et un démembrement moral. Je professe donc un respect profond pour l’opinion légitimiste ; je crois qu’elle conserve comme une relique pieuse une des plus nobles portions de l’idéal de la France. Quel que soit l’avenir que Dieu nous réserve, il est naturel et il peut être salutaire que cette opinion demeure fidèle à son culte et à son espérance. Il est donc loin de ma pensée de vouloir abaisser le principe légitimiste ; je n’éprouve aucun sentiment hostile contre le parti qui représente ce principe, lorsque je lui demande si, dans la situation actuelle de la France, il se croit en mesure de porter lui nième, sur le point décisif du champ de bataille où nous rencontrons les révolutionnaires et les socialistes, la majeure partie des forces de la cause de l’ordre et de la société. Je ne conteste pas l’influence, la dignité, l’avenir même du principe légitimiste. Il y a une maturité naturelle des choses, c’est le point de la possibilité. Je demande