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peut légitimement espérer qu’il répondra à cet appel dans l’état de stagnation et d’attente où sont aujourd’hui les capitaux. Pour les compagnies constituées de Strasbourg, de Bordeaux et de Nantes, l’hésitation est impossible. Elles ont encore 106 millions à fournir pour compléter leur capital. On leur demande, il est vrai, 77 millions de plus ; mais, d’un autre côté, les 124 millions qu’elles ont déjà réalisés et employés perdent au cours actuel 68 millions. Il n’est pas déraisonnable de craindre que, d’ici à l’achèvement de chaque eut reprise, les versemens successivement effectués ne subissent une perte proportionnellement égale. Il s’agit donc pour ces compagnies de sauver leur capital d’une dépréciation qui dépasse en ce moment 50 pour 100 ; la garantie de l’état aura seule ce pouvoir, et, en calculant sur la situation actuelle de la rente 5 pour 100, il est impossible que cette garantie ne porte pas immédiatement au pair le cours des actions, qui, assurées de leur intérêt, et de leur amortissement, n’auront plus à escompter pour l’avenir que des chances de bénéfices.

Enfin, soit qu’on s’en tienne aux évaluations qui ont servi de base aux concessions octroyées pour chacune des quatre grandes lignes dont il s’agit, soit qu’on se livre le des estimations nouvelles d’après les faits accomplis sur les lignes aujourd’hui en exploitation, on arrive toujours à ce résultat : que le produit net moyen atteindra au moins et dépassera probablement 6 pour 100 du capital garanti, à la condition toutefois qu’on ne répétera pas en France la faute commise en Angleterre, où l’on voit deux et jusqu’à trois lignes de chemins de fer courant dans la même direction, ayant la même clientèle et un but presque identique.

Il nous paraît important d’insister sur ce point. Le parlement anglais a autorisé la construction de 19,300 kilomètres de rail-ways ; 8 milliards 600 millions de francs sont déjà engagés dans cette immense opération, dont le coût total, en supposant que l’œuvre se termine, dépassera 10 milliards ; mais l’excès apparaît de toutes parts : non-seulement les lignes rivales se disputent une clientèle qui n’est plus en rapport avec les moyens puissans qu’on a mis à sa disposition au prix d’énormes sacrifice, mais encore les embranchemens greffés sur les lignes principales, et qui devaient, disait-on, en être les rameaux nourriciers, épuisent ces lignes, consomment le plus clair de leurs produits, sans rien ajouter à leur activité et sans améliorer dans une proportion notable leurs recettes. Enfin, l’exagération qui se manifeste dans l’étendue du réseau et dans le développement de ses ramifications se retrouve dans les détails de l’exécution ; la force et le poids des machines dépassent, sur un grand nombre de chemins de fer, les besoins de la circulation ; ce surplus de puissance, dont on n’a pas d’emploi, grève l’exploitation et l’entretien de frais énormes qui restent sans compensation. L’Angleterre voit sa faute, et elle n’y retomberait pas aujourd’hui si, sachant ce qu’elle sait, il lui était possible de reprendre les choses dès l’origine. La France, soumise il y a quelques années au même entraînement, a failli tomber dans la même erreur. Des obstacles de plusieurs sortes, mais qui plus ou moins révélaient l’insuffisance de son capital disponible, l’ont préservée d’un engouement qui la mettrait aujourd’hui en présence de terribles mécomptes ; et, sans qu’on puisse faire honneur à une prudence réfléchie d’une lenteur dont notre amour-propre national a quelquefois souffert, il faut convenir au moins que nos discussions et nos atermoiemens nous ont servi en