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avec le sourire de l’indifférence devant ces questions redoutables, et que sentiez qu’elles doivent être l’objet de l’étude la plus attentive et des discussions les plus approfondies. »

En vérité, la constituante avait d’autres preuves à faire que celle-là, car, après tout, si l’étude attentive et la discussion approfondie des plus redoutables questions valent quelque chose, c’est uniquement parce qu’elles conduisent à des solutions pratiques, et les solutions sont tout pour un peuple qui souffre et dont les maux présens sont aggravés par l’incertitude que les bruyantes manifestations des novateurs répandent sur l’avenir ; mais par cela même que la constituante n’avait trouvé à sa portée aucune solution réalisable, par cela même qu’elle avait inutilement cherché sa voie au travers de ces systèmes surgissant de toutes parts pour s’évanouir au premier choc d’une discussion sérieuse, par cela même qu’elle était réduite à user des moyens éprouvés par l’usage elle aurait dû tenir un meilleur compte de ces moyens et recourir largement aux seuls remèdes qu’elle eût à sa disposition. Il est constant que les réductions que l’assemblée constituante a fait subir au budget extraordinaire des travaux publics ne pouvaient pas venir plus mal à propos, et qu’elles constituent dans les circonstances présentes le plus inexplicable des contresens[1]. L’assemblée s’est laissé prendre au mot d’économie. Elle a voulu aussi protester, à sa manière contre les témérités de la paix qui ont appelé tant de critiques sur le dernier gouvernement, et elle n’a pas vu que la paix a disparu, et qu’elle ne reviendra qu’avec la facilité et la sécurité des existences. Comment n’a-t-elle pas compris que ce qui constituait un superflu peut-être abusif dans les dernières années de la monarchie, au milieu de la plus grande surexcitation industrielle et commerciale que la France ait connue, n’atteignait pas au nécessaire quand l’industrie se relève péniblement d’un choc terrible, quand nos hauts fourneaux sont encore éteints, nos forges silencieuses, nos constructions abandonnées, nos ateliers de luxe déserts ?

Pour les hommes qui ont quelque souci des souffrances du pays et quelque intelligence de sa situation et de ses besoins, l’expérience n’est-elle donc rien, et faut-il que les enseignemens qu’elle donne soient perdus au moment même où ses leçons seraient le plus nécessaires ? Ce qui a mis la société française sur le bord de l’abîme, ce qui l’a livrée à une perturbation pleine de périls, c’est la brusque disparition du travail. Restreindre les travaux publics dans le telles circonstances, c’est bien plus qu’une erreur, c’est plus même qu’une faute :

  1. Ces réductions s’élèvent à près de 47 millions sur le montant des propositions du gouvernement, en ce qui concerne les travaux civils seulement, pour l’exercice 1849. En voici le tableau :
    Routes et ponts 13,750,000 fr.
    Navigation des rivières 4,230,000
    Canaux 3,030,000
    Ports et phares 4,519,000
    Desséchemens et irrigations 400,000
    Chemins de fer 19,025,000
    Bâtimens civils 1,741,000
    Total 46,695,000 fr.