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de paix, si ce n’est à moi-même et en particulier, sera tenu pour traître et mourra de la mort des traîtres !

« LES BOURGEOIS. — Cela sera, cela sera ! Nous le tuerons sur l’heure !

« ARTEVELDE. — Non pas ! Faites bien attention encore à ceci si un citoyen en tue un autre sans mon autorisation, de vive voix ou par écrit, quand bien même il serait fidèle comme l’acier, et quand même celui qu’il tuerait aurait été faux comme Judas, sa peine sera la mort ! (Silence.) Vous vous taisez. Pourquoi combattons-nous donc ? Pour la liberté ? Mais quelle est la liberté pour laquelle nous combattons ? Serait-ce la liberté de nous entre-tuer ? Alors mieux vaudrait que nous eussions de nouveau Roger d’Auterne, Ie bailli. Non, mes amis, c’est la liberté de choisir notre chef et de n’obéir qu’à lui ! A l’heure qu’il est, c’est moi que vous venez d’élire. Que cette élection soit garante à chacun que nul autre que moi n’osera le juger. Quiconque frappe sans mon ordre, qu’il soit grand ou petit, riche ou pauvre, il mourra. »


Philippe ne tarde pas à compléter son propre portrait. En apprenant qu’il vient d’être nommé capitaine des chaperons blancs, Adrienne Van Merestyn, la jeune fille qu’il devait plus tard épouser, laisse échapper un cri d’effroi.

« Toi qui avais le cœur si bon, dit-elle, c’est toi qui conduiras ces monstres où ils voudront aller.

« ARTEVELDE. — Nullement ; je me propose de les conduire où je voudrai qu’ils aillent.

« ADRIENNE. — Mais ils se retourneront contre toi ; jamais ils n’ont voulu endurer un chef qui contrariât leurs caprices.

« ARTEVELDE. — La patience qu’ils n’ont pas eue, ils auront à l’apprendre de moi…

« ADRIENNE. — Ah ! ils t’égorgeront !

« ARTEVELDE. — Cela se petit, mais j’ai meilleur espoir. En tout cas, ce qui est certain, c’est qu’ils m’égorgeront avant de me faire entrer d’une ligne dans la voie qui n’est pas ma voie.

« ADRIENNE. — Hélas ! était-ce là que les choses devaient en venir, mon Dieu !

« ARTEVELDE. — Tout cela, je l’ai prévu, et les choses n’ont pas tourné plus mal que je ne te l’avais annoncé. Ce qui doit être doit être. Mon sort a été marqué d’avance, car je sens en moi quelque chose qui s’accorde avec ce que j’ai à faire. La carrière qui m’attend s’annonce bien, et je n’ai ni perplexité ni nuage sur les yeux… Les hommes à leur place sont ceux sui savent se tenir debout, et je suis ferme et fort sur mes jambes ; car, quoique dorénavant je doive avoir la tête bourrelée de bien des soucis, mon cœur est toujours léger et dispos, et le seul trouble qui l’atteigne est la crainte que tout ceci n’augure pour toi une existence troublée. »


Comme l’énergie brutale de Van den Bosch prend de mesquines proportions à côté de cette calme résolution du penseur, qui veut que « nul ne puisse se dire moins en sûreté que lui-même, tant qu’il respectera la loi ! » Certes, un semblable héros est loin de ressembler au type consacré. M. Tavlor n’a point imité le jeune homme qui personnifie dans la première femme venue un idéal aimé d’avance, et qu’il est décidé à adorer tel quel. Il a lu l’histoire avec une