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à détrôner le passé de la veille. Ce qu’elle a tenté de mettre à sa place, dans les premiers jours d’enthousiasme, je ne m’arrêterai pas à en parler. Tout d’abord elle n’a songé qu’à imiter, et cela était naturel. Les réformateurs commencent à peu près uniquement par savoir qu’ils ont une profonde antipathie pour ce qui se fait et se dit autour d’eux, et, avant de trouver en eux-mêmes un moyen d’exprimer ce qu’ils sentent et ce qu’ils aiment, ils exhument d’ordinaire quelque vieille forme littéraire qu’ils adoptent, parce qu’elle ne les choque pas là où les blesse celle de leur temps. Walter Scott traduisit le Goetz de Berlichingen de Goethe, Coleridge donna une remarquable version poétique du Wallenstein de Schiller. Tous deux essayèrent aussi leurs propres forces à des compositions d’où il eût pu sortir quelque chose ; mais ce furent là des tentatives sans continuateurs. Byron était alors en possession du public, et, quoique l’avenir ne dût pas être à lui, ses rivaux étaient comme perdus dans l’ombre. L’un d’eux, celui qu’on en soupçonnerait le moins, Wordsworth lui-même écrivit alors un drame. Au dire de Coleridge, ce n’était rien moins qu’un coup de maître, une étonnante production. Même en faisant la part de l’enthousiasme d’un ami, on pourrait presque affirmer, les yeux fermés, que le poète des lacs n’avait marché dans aucune des voies battues. S’il est un homme qui soit prédestiné par son organisation à ne s’inspirer que de lui-même, cet homme c’est Wordsworth. Concevoir un modèle idéal, d’après ses souvenirs ou ses propres réflexions, lui est radicalement impossible ; il faut qu’il laisse faire ses impressions. Mais peut-être Wordsworth a-t-il senti que son drame ne possédait pas les qualités nécessaires à la scène ; en tout cas, il ne l’a pas publié.

Après les essais assez ambigus et tout passionnés de Byron, après les études un peu systématiques de Johanna Baillie et les tragédies érudites de Croly, la première réputation qui se présente à nous est celle de Sheridan Knowles. Je passe sous silence Sotheby et Maturin, parce que, comme Byron et Croly, ils n’ont pas engendré de postérité. Knowles, leur successeur, a commencé sur de nouveaux frais ; il s’est fait le disciple des premiers romantiques, de Hazlitt et de Lamb. Chez lui, nul regard tourné vers l’Allemagne, nulle velléités de revenir aux erremens du XVIIIe siècle. Il s’est naturalisé sujet de la reine Elisabeth, et c’est dans Shakspeare et Massinger, dans Beaumont et Fletcher, qu’il a étudié le monde, les hommes et l’art théâtral.

Sans contredit M. Knowles est un homme de talent ; il a une veine assez franche de lyrisme et de sentimens tendres, au besoin même il va jusqu’au tragique ; mais son imagination a un faux air de vignette anglaise, et le drame, entre ses mains, n’est guère qu’un mélodrame élégiaque. Il est porté à imaginer une fable plutôt qu’à imaginer des caractères, à chercher des effets et non à concevoir des êtres humains gros d’élémens dramatiques. Ses personnages parlent peu à l’esprit. Dans chaque scène ils sont ce qu’il fallait qu’ils fussent pour que la situation, frappât le plus fort possible. Ils s’exagèrent dans un sens pour s’exagérer ensuite dans un autre, et, au lieu d’avoir une vie à eux, ils apparaissent ainsi trop souvent comme de simples moyens scéniques accolés bout à bout.

Quoi qu’il en soit M. Knowles a l’honneur d’être une date et de représenter une phase marquée de la littérature anglaise ; car, durant tout son règne, on peut dire que, comme lui, le théâtre en général a eu pour trait dominant l’imitation