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— Mais, ma mère, vous ignorez donc ce qui se passe ?

— La France pousse un cri de délivrance et tend les bras vers son roi légitime, poursuivit la marquise avec exaltation. Qu’attendez-vous, mon fils ? Votre devoir n’est-il pas d’aller au-devant de lui ? Partez ; que ne puis-je vous donner des ailes !

— Ma mère, vous vous abusez étrangement, répondit Gaston en secouant la tête ; nous n’assistons pas à la résurrection de la monarchie de saint Louis, mais à l’avènement de la république.

— La république ! s’écria la marquise. Quel rêve insensé ! C’est impossible !

— La république ! s’écria Laure ; il n’y aura donc plus de cour ?

— C’est impossible ! répéta la marquise. Rassurez-vous, ma fille. Vous êtes fou, Gaston. La république ! Y pensez-vous, mon fils ? La France en a tâté et sait trop ce qu’elle vaut.

Comme elle achevait ces mots, la porte du salon s’ouvrit, et M. Levrault parut, soutenant de son bras la marche chancelante de l’ouvrier blessé qu’il avait recueilli, et suivi d’une douzaine d’hommes armés qui l’avaient escorté jusqu’à son hôtel. Gaston, Laure et la marquise contemplaient d’un œil étonné cette scène étrange. Le blessé était un homme de trente ans tout au plus. Atteint d’un coup de feu à l’épaule, malgré la souffrance, son visage, encadré entre des cheveux bruns et une barbe rousse, respirait encore toute l’ardeur du combat. C’était une de ces figures empreintes d’une énergie sauvage, qu’on voit paraître à point nommé dans tous les mouvemens populaires.

— Inclinez-vous, dit M. Levrault en entrant, saluez avec respect ce héros qui a donné son sang pour nous délivrer de la tyrannie.

Et s’adressant au blessé :

— Mon ami, vous êtes ici chez vous, et les braves qui vous ont accompagné ne vous quitteront pas. Mes enfans, cette maison est la vôtre. Tout ce qui est ici, tout ce que vous voyez, je l’ai gagné à la sueur de mon front. Je suis trop heureux de partager avec vous ma petite fortune, le fruit modeste de mon humble travail. Voici mon gendre, un ouvrier de la pensée, un républicain comme moi, comme vous.

— Dites le marquis de La Rochelandier, interrompit brusquement Gaston. Hier, je faisais bon marché de mon titre ; aujourd’hui que ce titre est proscrit, je le revendique hautement.

M. Levrault faisait en vain signe à Gaston de se taire ; Gaston acheva d’une voix ferme la phrase qu’il avait commencée, et sortit fièrement en jetant sur son beau-père un regard de pitié. La marquise, indignée, suivit son fils. Laure, à son tour, voulait se retirer ; un geste suppliant de son père la retint.

— Un marquis ! dit le blessé promenant autour du salon un regard défiant ; camarades, ne restons pas ici, portez-moi à l’hôpital.