Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 4.djvu/833

Cette page a été validée par deux contributeurs.

daient son nom. Un aide-de-camp du roi répondait à voix basse : C’est le comte Levrault !

Le lendemain, il s’éveilla frais et dispos, le visage épanoui. En apercevant son journal, il le repoussa d’une main dédaigneuse, comme pour se venger d’avoir été abusé par un récit mensonger. Son valet de chambre s’étant permis de lui dire qu’on avait entendu pendant la nuit des bruits sinistres, M. Levrault le tança vertement et raconta ce qu’il avait vu la veille, en appuyant sur chaque mot d’un air d’importance, comme un homme qui n’a eu qu’à se montrer pour réduire l’émeute, comme un nouveau Neptune devant qui s’apaisent les flots irrités. Après avoir déjeuné seul, lentement, en vrai gourmet exempt de soucis, il descendit au jardin, et s’occupa d’improviser le discours qu’il se proposait d’adresser au roi le jour de sa réception. Comme M. Jourdain tournant un compliment à la belle marquise, il aurait eu besoin d’un maître de philosophie pour l’assister dans cette tâche laborieuse. Cependant, au bout de deux heures, il avait réussi à mettre debout, ferme sur ses jarrets, une phrase, une seule, mais qui en valait bien deux : « Sire, c’est mon gendre qui me présente à votre majesté, mais c’est à moi que votre majesté doit mon gendre. » Heureux et fier d’avoir mis au monde cette phrase éloquente, il courut à son bureau, se hâta de l’écrire, afin de n’avoir plus rien à redouter des caprices de sa mémoire, et la serra soigneusement dans son portefeuille, comme une perle dans son écrin.

Dans l’après-midi, il voulut revoir ses chères Tuileries, théâtre prédestiné de ses prochains triomphes. Il suivait la rue du Bac d’un air préoccupé, récitant à voix basse son improvisation de la matinée, consultant son portefeuille chaque fois que sa mémoire bronchait. Au moment même où, pour la trentième fois peut-être, il redisait, avec une satisfaction toujours croissante : « Sire, c’est mon gendre qui me présente à votre majesté, mais c’est à moi que votre majesté doit mon gendre, » comme il débouchait sur le quai, il aperçut au pavillon de Flore d’étranges personnages qui ne portaient pas d’habits brodés, et qui s’occupaient à jeter les meubles par les fenêtres.

En ce moment, les abords des Tuileries présentaient une scène de tumulte et de confusion impossible à décrire. Des bandes armées parcouraient le pont et le quai. Les coups de feu tirés en l’air ajoutaient à l’ivresse des vainqueurs. Des fenêtres du château envahi s’échappait le mugissement de la multitude, pareil au fracas de la mer. Des chevaux de cuirassiers, montés par des enfans, galopaient à travers la foule. Tout le peuple était en armes ; il n’y avait de désarmés que les soldats. Çà et là des groupes curieux, inquiets, effarés, colportaient les nouvelles : la famille royale venait de s’enfuir, et parmi tous les courtisans, tous les conseillers, tous les hommes de guerre qui l’en-