Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 4.djvu/831

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

position de ses armoiries. Il assistait assidûment aux séances de la noble chambre, non plus en simple curieux, mais comme un acteur qui, avant ses débuts, va entendre ses camarades pour prendre l’air et le ton de la maison. Il avait déjà choisi sa place. Il se substituait par la pensée à chacun des orateurs qu’il entendait, jugeait sévèrement leur débit, leur action, et, quand les applaudissemens éclataient, il se troublait, et parfois même saluait comme pour remercier. Plus heureux encore pendant son sommeil, il était à la tribune, il récitait d’une voix sonore un discours écouté dans un religieux silence. Le banc des ministres lui souriait. Il retournait à sa place en distribuant des poignées de main. Une nuit, son valet de chambre, réveillé en sursaut, entra tout effaré dans son appartement et le trouva sur son séant, s’agitant, gesticulant, et criant d’une voix glapissante : Je demande la parole pour un fait personnel ! Homme digne d’envie, il avait tous les enivremens de l’ambition sans aucun de ses déboires. Son oisiveté ne connaissait pas l’ennui ; il n’avait pas une heure libre dans la journée. Chaque matin, pour délier sa langue, il déclamait dans son jardin quelques pages de Mirabeau ; puis, avant d’aller au Luxembourg, il se promenait devant le château des Tuileries, et l’étudiait sous toutes ses faces, comme un héritier avide rôde autour du domaine qui va lui échoir. Sa voiture, qui l’amenait à la grille du jardin, le reprenait à la grille du Carrousel, car il aimait à passer sous le vestibule, et s’arrêtait pour contempler le grand escalier qui mène à la salle des maréchaux. Quelques jours encore, se disait-il, et je franchirai à mon tour cet escalier qui a vu passer tant d’hommes illustres. L’heure de la justice s’est bien fait attendre ; que de soucis ! que de traverses ! mais mon génie a surmonté tous les obstacles. Je vais donc enfin prendre le rang qui m’appartient. Puis il se représentait la rage de la marquise ; ce n’était pas la moindre de ses joies. Pourtant son bonheur n’était pas complet. Il pensait à Timoléon, à ce fils perdu depuis tant d’années, et se disait parfois avec amertume que le nom de Levrault et son titre de comte périraient avec lui ; mais ce regret altérait à peine la sérénité de son ame et se dissipait bientôt comme un nuage.

Laure n’était pas moins joyeuse que son père. La cour avait été le rêve de toute sa jeunesse. C’était à la cour qu’elle voulait retrouver ses anciennes compagnes, qui l’avaient humiliée de leurs dédains et de leurs railleries ; c’était dans les salons des Tuileries qu’elle devait prendre sa revanche. Dans son ivresse, elle remarquait à peine l’air sombre de Gaston, et, s’il lui arrivait de le remarquer, elle ne prenait pas la peine d’en chercher la cause. Dans le monde où elle était née, où elle avait vécu, qui donc lui eût appris les devoirs qu’imposent une grande naissance et une longue tradition de fidélité ? Le jour où Gaston lui avait annoncé sa résolution, elle avait battu des mains et