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nomie féodale de sa nouvelle habitation ; seulement, il aurait voulu voir dans la cour et sur les plates-formes des archers, des arbalétriers, et, dans le vallon, la marquise, sa fille, chevauchant sur un palefroi, le faucon au poing. Il appelait vassaux les paysans, regrettait, en se caressant le menton, certain droit du seigneur, parlait de rétablir au-dessus des portes les armoiries de sa famille, et se demandait parfois s’il n’y avait pas quelque ressemblance entre son visage et les portraits qui décoraient les murs du salon ; je ne crois pas qu’on l’eût beaucoup surpris en lui disant que c’étaient les portraits de ses ancêtres. Cependant, comment décider la marquise à le suivre à Paris ? Un esprit vulgaire se fût effrayé d’une pareille tâche ; mais, pour M. Levrault, une pareille tâche n’était qu’un jeu. On se rappelle par quels détours ingénieux, par quelles ruses délicates il avait amené la marquise à lui jeter son fils à la tête ; eh bien ! lorsqu’il fut question d’emmener à Paris Mme de La Rochelandier, M. Levrault ne fut ni moins rusé ni moins adroit. Vainement la marquise se retrancha derrière sa passion pour la solitude, vainement elle objecta son amour pour la vie des champs ; cette fois encore l’éloquence entraînante de M. Levrault triompha de tous les obstacles, de toutes les résistances.

Quinze jours après le mariage, une chaise de poste attelée de quatre chevaux emportait à Paris Gaston et sa femme, M. Levrault et la marquise douairière de La Rochelandier.


XII.

D’abord tout alla bien. En voyant la marquise à l’œuvre, le grand industriel s’applaudissait de plus en plus de sa conquête et comprenait mieux que jamais tout le parti qu’il pourrait en tirer. La marquise était devenue, dès les premiers jours, l’ame et la vie de l’hôtel Levrault ; les bienfaits de sa présence se révélaient dans les moindres choses. Elle s’était emparée sur-le-champ des rênes de l’administration domestique ; Laure ne songeait guère à les lui disputer. Elle avait l’œil à tout ; rien ne se faisait que par elle. Comme elle ne faisait rien sans consulter son aimable ami et qu’elle paraissait n’avoir d’autre ambition que la bonne tenue et la gloire de sa maison, l’aimable ami ne craignait pas de lui laisser prendre trop d’autorité et trouvait bien fait tout ce qu’il lui plaisait de faire. Grâce à la marquise, il n’y avait pas dans tout le faubourg Saint-Germain un hôtel d’un plus grand air que l’hôtel Levrault. Elle avait déclaré, en entrant, qu’elle entendait que tout y respirât le faste et l’opulence, non pas ce faste de mauvais aloi que maître Jolibois avait introduit à la Trélade et qui sentait son parvenu d’une lieue, mais un luxe sévère, irréprochable, qui ne fût pas au-dessous du rang qu’occupait dans le monde le beau-père d’un La