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bornent ces campagnes. Et pourtant je sens que ma présence à Paris ne vous serait pas tout-à-fait inutile, je sens qu’en plus d’une occasion je pourrais vous être de quelque secours. Il y a des instans où ma sollicitude s’effraie, où ma tendresse s’épouvante, des instans où je m’accuse d’égoïsme, où je me demande si ma place n’est pas auprès de vous. Notre adorable fille est bien jeune encore pour s’occuper d’administration domestique, gouverner une maison comme la vôtre et faire avec discernement les honneurs d’un salon où se presseront, où se coudoieront toutes les grandes figures, toutes les sommités de l’époque. Aux prises avec la vie publique, vous sentirez quel vide affreux la mort de Mme Levrault a laissé dans votre intérieur. Ne vous y trompez pas, mon aimable ami, c’est un rude sentier que celui qui s’ouvre devant vous, un sentier escarpé, bordé de précipices. Si je ne cherche pas à vous en détourner, c’est que ma raison respecte les desseins de la Providence, c’est qu’il faut ici-bas que toute destinée s’accomplisse : l’alouette cache son nid dans les sillons, l’aigle bâtit son aire sur la montagne. Allez donc où vos instincts vous poussent, où la voix de Dieu vous appelle, allez vous mêler aux luttes parlementaires pour lesquelles vous êtes taillé, et puissiez-vous n’avoir jamais besoin d’une main dévouée pour vous soutenir, pour essuyer la sueur de votre front !

Puis elle ajoutait d’une voix caressante :

— Au milieu de vos travaux, dans l’enivrement de vos triomphes, vous n’oublierez pas, vous n’oublierez jamais que vous avez une vieille amie sur le bord de la Sèvres. Tous les ans, après la clôture des chambres, vous viendrez près de moi vous reposer de vos nobles fatigues. Vous m’amènerez mes enfans ; nous passerons ensemble, à l’ombre de nos chênes, quelques mois enchantés. Vous aviez l’intention d’acheter un château en Bretagne ; vous en avez un qui ne vous coûte rien. Le château de La Rochelandier est à vous, à vous seul. C’est votre bien, votre propriété. J’entends, j’exige qu’il porte désormais le nom de château Levrault. Nous en restaurerons les créneaux et les tours ; nous y transporterons tout le luxe de la Trélade ; nous rachèterons les terres qui formaient autrefois le domaine des aïeux de Gaston ; enfin nous n’épargnerons rien pour relever, pour rajeunir l’éclat de l’antique manoir dont vous êtes le seigneur et maître.

Touché jusqu’aux larmes, le grand industriel, quelques jours avant son départ pour Paris, avait dirigé sur le château de La Rochelandier, devenu le château Levrault, ses meubles, ses tentures, ses équipages, ses chevaux et ses chiens. Le bruit, le mouvement, la vie de la Trélade avaient passé dans le château Levrault. Le grand fabricant, qui avait toujours reproché à la Trélade son architecture un peu bourgeoise, ne se lassait pas d’admirer les allures militaires et la physio-