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Une cour ayant la forme d’un carré long, contenant un bassin, entourée de colonnes de marbre aurore une légèreté exquise, surmontée d’un travail si précieux, si fouillé, si vaporeux, si transparent, qu’on dirait une guipure rose ; en face de vous, à travers une autre porte, une seconde cour renfermant une belle vasque supportée par de grands lions héraldiques, une suite infinie de colonnettes d’une élégance incomparable, d’une couleur sans pareille, qui ne se retrouve ni en Asie, ni en Grèce, une continuité de ciselures à désespérer tous les graveurs, un ensemble d’une telle élégance qu’on n’ose plus marcher, tant on se trouve à cette vue, pesant et grossier ; au-dessus de ces dentelles, de ces nervures, de ces vasques, de ces marbres transparens, de ces stucs ciselés, un ciel sans tache, qui entoure comme un dôme de lapis ce joyau doré, ce petit palais rose, telle est la perspective enchanteresse qu’embrasse le premier coup d’œil. On souffre, en regardant de plus près, à compter les blessures qu’ont infligées à cette merveille les mains des restaurateurs plus encore que le temps. Un effroyable lit de tuiles brunes et rondes pèse de tout son poids sur la broderie si légère des Arabes. Il semble qu’on porte sur les épaules cette écrasante toiture, sous laquelle plient les sveltes colonnes de marbre, à grand’peine renforcées par des tuteurs de fer. À droite de la cour des Lions est la salle des Abencerrages. C’est là, dit la tradition, que furent égorgés ces poétiques guerriers, qui joignaient l’élégance orientale à l’honneur chevaleresque ; leur sang a rougi les pavés de marbre. Il est vrai que l’histoire dément la tradition ; mais l’histoire a tort, car elle remplace mal ces gracieux mensonges. Les salles des Ambassadeurs et des Deux Soeurs sont des merveilles comme celle des Abencerrages, et l’on passerait des jours entiers à étudier leurs murs et leurs voûtes, ces chefs-d’œuvre d’ornementation, de gravure et de marqueterie ; mais elles sont relativement à leur réputation, fort peu grandes et l’Alhambra tout entier surprend lui-même par la petitesse de ses proportions. Un homme de goût, quelque peu riche, pourrait rêver d’avoir dans son jardin un fac-simile de l’Alhambra, et je ne crois pas trop exagérer en disant que la cour des Lions entrerait tout entière dans certains salons ministériels de Paris. On m’accordera du moins que le palais des Mores, avec ses cours, ses salons, ses jardins, ses galeries, ses colonnades, se trouverait fort à l’aise dans la cour du Louvre, par exemple. On peut, je pense, hasarder ces réflexions sans être taxé de barbarie ; la beauté des monumens ne se mesure pas sur leurs dimensions : les objets d’art ne s’apprécient point à l’aune, et le bouton de chape ciselé par Benvenuto pour le pape Clément VII vaudrait plus s’il se retrouvait, que maints palais qui couvrent un hectare de terrain. Quoi qu’il en soit, l’Alhambra est fort petit. Si je devais y vivre, j’habiterais le Tocador. Le Tocador, boudoir de marbre dans lequel on voit