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trahison leur refusait ; ils faisaient alors leur commerce à main armée : de là ces combats, souvent sanglans, dont il a été plus d’une fois question. Alors apparaissait à l’improviste la protection britannique. La flottille de la reine d’Espagne et le vapeur chargés de la surveillance de la côte étaient mouillés à Algéciras. Tous les mouvemens de ces navires étaient observés et signalés à Gibraltar du haut de signal house. Si le vapeur sortait du port, un pavillon convenu était hissé sur-le-champ par le surveillant anglais, et tous les contrebandiers se trouvaient avertis à six lieues à la ronde. S’ils étaient éloignés, ils gagnaient le large ; s’ils étaient rapprochés, ils couraient sur Gibraltar et se réfugiaient dans les eaux anglaises, où ils devenaient aussitôt inviolables. Un jour, une goélette de contrebandiers, vivement poursuivie par un schooner de l’innocente Isabelle, vint chercher un asile sous les batteries de Gibraltar. Le schooner eut l’imprudence de s’acharner à sa poursuite. Un coup de canon tiré tout exprès dans sa voilure l’avertit brusquement de faire ses réflexions. Sir Robert Wilson était lui-même dans la batterie, en sorte qu’il fut impossible d’alléguer une méprise, et l’avertissement put être considéré comme officiel. Ce n’est pas tout, le schooner, qui comprit mal peut-être et qui croyait tenir sa proie, continua sa chasse. Un second coup de canon retentit, et un boulet de vingt-quatre, qui l’atteignit en pleine flottaison, fit sauter une partie du bordage : il coula sur-le-champ. Le plus amusant de l’aventure, c’est que l’équipage du schooner fut recueilli et sauvé par les contrebandiers eux-mêmes. Le gouvernement espagnol prit mal la plaisanterie ; il demanda des explications. La légation anglaise répondit gravement que le schooner était entré sans pavillon dans les eaux anglaises. — Et, demanda l’Espagne, où donc est la limite des eaux anglaises ? — Elle est, répondit l’Angleterre, au bout de la portée de nos canons et la preuve que votre navire était en-deçà de cette portée, c’est qu’il a été coulé bas. La raison était judicieuse, et pourtant l’Espagne pouvait répondre que les eaux espagnoles s’étendaient également sous toute la portée des batteries du Campiamento, et ces batteries pourraient foudroyer le port même de Gibraltar ; mais au loup que devait répondre l’agneau ? Il a fallu Narvaez, un homme qui aura une belle page dans l’histoire de son pays et de son temps, pour rappeler à l’Europe et à l’Espagne elle-même quel compte il fallait tenir du pays de Charles-Quint.

Les faits semblables à celui que je viens de raconter ne sont pas rares. En voici un second plus récent encore. Un bâtiment de contrabandistas, vide pour le moment, naviguait en paix dans les eaux anglaises. Un garde-côtes espagnol l’aperçut et courut droit sur lui. Le contrebandier, qui n’avait rien à craindre, puisqu’il n’était point chargé, au lieu de fuir, cargua ses voiles, attendit, et l’on se héla bientôt de part et d’au-