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rêve, rien ne manquait au patio d’Ecija, car la plus admirable Andalouse que j’eusse jamais vue me guidait elle-même dans sa demeure. Simple et sans coquetterie, malgré ses longs yeux noirs et ses dents blanches comme des amandes, elle m’avait ouvert la porte de sa maison, devinant que j’étais un voyageur et que je pouvais avoir besoin de me reposer. Elle m’offrit des rafraîchissemens que je refusai par habitude avec cette réserve, j’allais dire avec cette raideur, qui nous vient d’Angleterre et qui contraste si singulièrement avec cette affabilité espagnole si naturelle, si vraie, qui repose si bien de nos usages apprêtés et des conventions puériles de la société où nous vivons. Qu’importait à cette jeune femme que je ne lui eusse pas été présenté officiellement ? Que lui importait de ne savoir point mon nom ? Ne s’écrivait-il pas, comme tout autre, avec des lettres de l’alphabet ? Si j’étais un étranger poli et fatigué, pourquoi ne m’eût-elle pas offert de prendre du repos ? pourquoi n’eût-elle pas causé tout simplement avec moi ? Je restai une heure dans ce patio, parlant de mon voyage, de Madrid que je quittais, de Paris dont on me faisait expliquer les merveilles. Des voisins arrivèrent, on m’offrit des cigarettes, un petit cercle se forma, et il me sembla bientôt que j’étais chez d’anciens amis, causant et devisant comme à l’ordinaire. Lorsqu’ils m’engagèrent à rester du moins quelques jours à Ecija, je fus presque surpris. J’oubliais qu’entré par hasard, quelques instans auparavant, dans cette maison inconnue, j’allais la quitter pour toujours. Le mayoral cependant me faisait chercher par toute la ville, et je retournai tristement à la diligence, malgré les pressantes invitations de mes hôtes improvisés. Ce fut une sottise. Pour voyager, il faudrait être libre et indépendant comme l’oiseau sur la branche. Il faudrait, comme l’oiseau, pouvoir s’arrêter là où on aperçoit un ombrage épais et des arbres en fleurs, jouir en paix de la fraîcheur des parfums ; puis, quand souffle la bise, quand vient l’heure de la satiété, partir en hâte et chercher ailleurs un ciel nouveau et de nouvelles amours. On échapperait ainsi aux langueurs de la vie sédentaire et au vide de l’existence voyageuse. Ce serait le sort enchanté du papillon. Et pourtant, Dieu merci ! je me trompe, car on ne satisferait pas ainsi les désirs de notre cœur insatiable. Et que resterait-il, d’ailleurs, au bout de la route de tant d’affections brisées, de tant de jours effeuillés dans tous les sentiers, et que retrouverait-on en revenant au coin du foyer ? Allons, allons ! j’ai eu raison sans doute de quitter Ecija et de gagner Séville.

Après tout, les environs de Séville ont un caractère méridional fort curieux. Devant vous s’étend comme une mer une plaine poudreuse et bleuâtre. Des deux côtés de la route, les aloès élèvent leurs énormes glaives, et les tiges des figuiers épineux ressemblent à des mâts de chaloupes. Des troupes d’ânes et de mulets soulevant des nuages de pous-