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tromblons, qui, perchés sur la bâche, préparèrent bientôt leurs cartouchières. Il s’arma lui-même, d’un vieux fusil. Ses deux acolytes avaient des figures abominables ; j’aurais parié volontiers qu’en faisant mine de nous défendre, ils mentaient impudemment à leurs consciences et se trompaient de rôle. Mes compagnes de voyage s’effrayaient fort de ces préparatifs : elles me racontèrent avec terreur que les brigands d’Andujar, bien qu’ils n’eussent pas l’habitude de tuer les voyageurs, avaient cependant, l’avant-veille, tiré quatre ou cinq cours de trabucos[1] sur la diligence, en manière d’admonestation ; elles parlaient de rester à la Carolina. Bien que je croie peu aux bandits, bien qu’à défaut de brigands j’eusse autrefois rencontré les mêmes terreurs en Sicile, je fus obligé pourtant de convenir que nous avions plus de chances de trouver des amis de José-Maria sur la route d’Andujar qu’au Prado de Madrid ou sur le boulevard des Italiens ; mais une arrestation à main armée n’était-elle pas l’accessoire obligé d’un voyage en Espagne ? N’ayant pas grand argent dans mes poches, j’en prenais bravement mon parti ; seulement, comme les grosses dames espagnoles, avec leurs gros paquets, m’ennuyaient, et que j’avais épuisé le charme que j’avais pu trouver dans la vue de la négresse, dans le chant du perroquet et dans la conversation du muet, je parvins, à force d’intrigues, à suborner le mayoral et à me glisser dans le coupé à la place d’un petit étudiant de Cordoue. Vers deux heures de l’après-midi, nous reprîmes notre route à travers un pays hérissé d’aloès, et nous arrivâmes vers six heures à Baylen. Baylen !… Vous prévoyez peut-être que je vais raconter, excuser ou attaquer la capitulation de Baylen, vous redoutez que je ne saisisse, comme j’en aurais le droit, l’occasion de faire un chapitre d’histoire ? Eh bien ! non, madame. Voyez si je suis un voyageur discret ; je jure de ne point parler à Baylen du général Dupont, et, à Andujar, je ne dirai pas un mot du duc d’Angoulême, ni même de l’ancienne Illiturgis. Baylen, située dans une position militaire, est flanquée de trois ou quatre vieilles tours qui lui donnent l’air respectable d’une ville forte, Les rues étaient pleines de monde. Les jolies majas, aux coiffures les plus compliquées, jouant de l’éventail et de la prunelle, se mêlaient aux majos en culottes de soie. On ne s’arrêta du reste que le temps de relayer. Notre diligence fut attelée de quatorze mules fringantes, couvertes de houppes de laine jaunes et rouges. Ces mules, attachées deux par deux, avec de longs traits, formaient un attelage d’une centaine de pas de longueur. Le mayoral, assis devant les vitres du coupé, conduisait les deux timoniers à l’aide de rênes passées dans des anneaux de fer qui entouraient leurs naseaux ; dix autres mules, sans frein, couraient

  1. Espèce de tromblon.