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étaient chantées et applaudies au moment où s’agitait le grand drame de notre première révolution, on s’étonnerait qu’il puisse y avoir en même temps, chez le même peuple, des esprits faciles et accommodans qui vivent à l’aise dans cette atmosphère fleurie, parfumée, bocagère, et des imaginations funestes, lugubres, subversives, qui nourrissent, dans le rêve de leur orgueil farouche, je ne sais quel idéal de destruction et de néant. Quelle étrange sensation l’on éprouve lorsqu’au sortir d’une de ces soirées paisibles, inoffensives l’on ouvre un livre de M. Proudhon ! Nous l’avouons, une de nos nombreuses rancunes contre les misères et les inquiétudes de notre temps, c’est que ces misères soient assez douloureuses, ces inquiétudes assez profondes pour nous forcer de prendre au sérieux cet insigne mystificateur, qui ferait bien rire, si ses théories ne se formaient d’élémens propres à faire couleur tant de sang et de larmes. En réfutant ce logicien du mensonge, en discutant ce dialecticien de l’impossible, il semble qu’on lui fasse un honneur dont il n’est pas digne ; et cependant il le faut, car, dans ces pages imprégnées de poison, il y a un danger positif, incessant, prêt à passer de la région des idées dans celle des faits. C’est un des malheurs et des châtimens des époques comme la nôtre, qu’on se trouve réduit à donner une place, dans ses discussions et dans ses haines ce qui n’obtiendrait, en temps de calme, que le sourire du mépris, et que les esprits soient forcés de perdre à réfuter d’effrontés sophistes le temps qu’ils pourraient employer à accréditer des pensées utiles.

M. Proudhon intitule son nouvel écrit : Les Confessions d’un révolutionnaire. C’est là, on le comprend aisément, un de ces titres fastueusement humbles, tels que les affectionne l’orgueil moderne, et où l’aveu n’est autre chose que l’expression à peine voilée d’un excessif contentement de soi. Enfermé dans sa superbe chimère, comme dans un cloître dont il est le moine blasphémateur et athée, M. Proudhon a, dans son style, dans l’apparente rigueur de ses déductions, dans l’audace affectée et tranchante de ses paradoxes sacrilèges, je ne sais quel enivrement bizarre, quelles fumées vertigineuses qui montent au cerveau dans la solitude, lorsqu’on en a exilé Dieu, et que l’on n’est plus que le sauvage interlocuteur du néant. Pour lui, point de lien possible, même avec l’erreur, même avec le mal, même avec les complices de sa mission destructive. Pour lui, tout homme, même un socialiste, qui veut élever une idée sur les ruines des autres idées, est un apôtre de superstition ; tout homme, même un démagogue, qui veut établir un pouvoir sur les débris des autres pouvoirs, est un agent de despotisme. Ce qu’il lui faut, c’est la table rase, le vide absolu, seul air que puisse respirer cette poitrine desséchée par la fièvre du sophisme et de l’orgueil. Loin de nous l’idée de nous en plaindre. Il est bon qu’on sache jusqu’où vont ces féroces prédicateurs d’anarchie, qui, à force de nier et de haïr tout ce qui peut régler la conscience et la raison humaines, finissent par prendre ombrage même de ceux qui pourraient les aider à tout détruire, du moment qu’ils leur supposent l’envie de remplacer ce tout par quelque chose, et de ne pas les laisser jour en paix de la destruction et du chaos. Grace à ce suprême effort de la logique dans l’absurde, Louis Blanc leur est aussi suspect que M. Guizot, Ledru-Rollin aussi odieux que M. Thiers. Les hommes du National et de la Réforme, de l’hôtel-de-Ville et du Luxembourg, sont des réactionnaires aussi bien que les plus énergiques défenseurs de l’ordre. On le