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« — Pour avouer l’autel devant lequel je m’agenouille, pour révéler l’idole actuelle de mon ame…

« — Hâtez-vous, s’il vous plaît ; l’heure du lunch approche, et il faut que vous vous confessiez.

« — Me confesser ! mon cœur est plein de ce secret, il faut que je l’épanche. Je voudrais seulement que vous fussiez M. Helstone, vous sympathiseriez mieux avec moi..

« — Je veux le nom, des détails.

« — Mon héros ressemble à M. Helstone : ils sont tous deux secs, prompts, résolus ; mais mon héros est le plus puissant des deux : son esprit a la limpidité de la mer profonde, la patience de ses rochers, la force de ses flots.

« — Déclamation ! Miss Keeldar, cette personne réside-t-elle à Briarmains ? Répondez à cela.

« — Mon oncle, je vais vous le dire, son nom tremble sur mes lèvres.

« — Parlez, fille !

« — C’est bien dit, mon oncle. « Parlez, fille ! » c’est tout-à-fait tragique ! L’Angleterre a poussé après cet homme des aboiemens sauvages, mon oncle, et elle l’applaudira un jour avec exaltation. Les huées ne l’ont pas ému, les applaudissemens ne l’enfleront pas.

« — Je disais qu’elle était folle, elle l’est !

« — Ce pays changera encore et encore dans sa conduite envers lui ; lui ne changera jamais dans les services qu’il lui rend. Venez, cessez de vous impatienter, mon oncle : je vais vous dire son nom.

« — Vous me le direz, ou…

« — Ecoutez ! Arthur Wellesley, lord Wellington.

« M. Sympson se leva furieux : il bondit hors de la chambre ; mais il rentra sur-le-champ, ferma la porte et revint s’asseoir.

« — Madame, vous allez me dire ceci : vos principes vous permettent-ils d’épouser un homme sans argent, — un homme au-dessous de vous ?

« — Jamais un homme au-dessous de moi.

« (À pleine voix.) — Voulez-vous, miss Keeldar, épouser un homme pauvre ?

« — De quel droit, monsieur Sympson, me faites-vous cette question ?

« — Savez-vous, dit-il en se penchant mystérieusement vers elle et avec une solennité hagarde, savez-vous les bruits qui courent sur votre compte et sur un de vos tenanciers, un banqueroutier, l’étranger Moore ?

« — Vraiment !

« — Est-ce la personne qui a eu le pouvoir de faire votre conquête ?

« — Lui plus qu’aucun de ceux dont vous avez plaidé la cause.

« — Est-ce celui que vous voulez épouser ?

« — Il est beau, il a l’esprit viril, il est imposant.

« — Vous me le déclarez en face ! Le misérable Flamand ! le vil commerçant !

« — Il a du talent, il est aventureux, il est résolu. Il a un front princier et l’air du commandement.

« — Elle s’en glorifie ! elle ne cache rien ! Ni honte ni crainte !

« — Lorsque vous prononcez le nom de Moore, la honte s’oublie, la crainte se retire : les Moore ne connaissent qu’honneur et courage.