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façon. Quand on se mit à lire, Moore demanda quel auteur on prendrait. Un Français ?

« — Vos ancêtres français, répondit Caroline, ne parlent ni aussi doucement, ni aussi solennellement, ni avec autant de force que vos ancêtres anglais, Robert. Ce soir, vous serez entièrement Anglais : vous lirez un livre anglais.

« — Un vieux livre anglais ?

« — Oui, un vieux livre anglais, un livre que vous aimiez, et je choisirai un morceau dont le ton soit en harmonie avec quelque chose en vous. Il réveillera votre nature, remplira votre esprit de musique ; il passera comme une main habile sur cœur et le fera résonner. Votre cœur est une lyre, Robert ; mais, dans le tour de votre vie il vous manque un ménestrel qui le parcoure, et il reste souvent silencieux. Laissez le glorieux William en approcher et le toucher, vous verrez comme il tirera de ses cordes la force et la mélodie anglaises.

« — Il faut que je lise Shakspeare ?

« — Il faut que vous ayez son esprit devant vous ; il faut que vous entendiez sa voix dans votre intelligence ; il faut que vous preniez quelque chose de son ame dans la vôtre.

« — Afin de me rendre meilleur ? Cela doit-il opérer comme un sermon ?

« — Cela doit vous exciter, vous donner de nouvelles sensations ; cela vous fera sentir fortement votre vie, non-seulement vos vertus, mais les points vicieux, pervers de votre nature.

« — Dieu ! que dit-elle ? cria Hortense, qui comptait les mailles de son tricot.

« — Ne faites pas attention, ma sœur ; laissez-la parler ; laissez lui dire tout ce qui lui plaît ce soir. Elle aime à tomber dur sur votre frère quelquefois, cela m’amuse ; laissez-la tranquille.

« Caroline, qui, montée sur une chaise, avait fouillé le rayon, revint avec un livre.

« — Voici Shakspeare, dit-elle, et voici Coriolan. Maintenant lisez et reconnaissez, aux sentimens que cette lecture vous donnera, combien à la fois vous êtes petit et combien vous êtes grand.

« — Venez alors, asseyez-vous près de moi, et corrigez ma prononciation.

« — Je vais donc être votre maître, et vous mon élève.

« — Ainsi soit-il !

« — Et Shakspeare sera notre science, et vous n’allez pas être Français et sceptique et railleur ! Vous n’allez pas regarder comme un signe d’esprit le refus d’admirer ! Si vous faites cela, Robert, je vous arrache Shakspeare, je mets mon, chapeau, et je m’en vais.

« — Asseyez-vous ; je commence. »

Dans cette lecture, Caroline fit sentir avec une sollicitude innocente à Robert Moore les dangers de son caractère, car Moore avait dans la conscience de son droit, dans le sentiment de son indépendance, dans la fierté de son courage, dans sa haine et son mépris des populaces rebelles, quelque chose du feu hautain du patricien si fortement compris