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sur une petite échelle, le grand mécanisme de l’Université de France appliqué dans l’enceinte de chaque circonscription d’études, et opérant, toutes proportions gardées, comme il opère aujourd’hui. Chaque école supérieure serait une université complète en réduction. Matériellement, que cela se puisse, nous ne croyons pas que personne le conteste.

Quant à l’utilité d’une telle combinaison, on en jugera différemment, suivant que l’on trouve utile ou superflu d’avoir en province une éducation sérieuse. D’espérer en effet que l’on peut garder en province un corps enseignant dont tous les membres sont obligés de venir prendre leur investiture à Paris, arrivent de Paris et ne respirent que pour y retourner, et que les élèves ne suivront pas infailliblement l’exemple des maîtres, c’est se faire une étrange illusion. Dans l’état actuel des choses, tout l’enseignement des provinces leur est envoyé, comme les modes nouvelles, sous la bande et avec le cachet de Paris. À tant faire que d’avoir l’influence de Paris de seconde main, on aime mieux l’aller puiser à sa source. Pour être éclairé par le reflet, autant vaut aller chercher le soleil. Point de rapport, d’ailleurs, d’habitudes, point d’unité de sentimens entre ces jeunes professeurs, expédiés de l’École normale par la malle-poste, et les générations qui tombent sous leurs mains inexpérimentées. On est Breton et catholique, on est Alsacien et protestant ; on sera endoctriné par un esprit fort des environs de Paris. Où trouver le point d’harmonie entre la classe et le maître ? Les études provinciales ne reprendront de la vie et ne compteront par conséquent des élèves que lorsqu’elles voudront bien tenir un de compte de la diversité des génies populaires, lorsque des centres existeront où ces génies seront éminemment représentés par des hommes du lieu, dont le talent exprime les sentimens, dont la réputation flatte l’amour-propre des populations. Et ne dites pas que cette diversité a disparu, qu’elle a cessé d’être chère aux masses et qu’on ne peut pas la ressusciter. Partout, au contraire, des efforts sérieux se font, depuis plusieurs années, pour en raviver les souvenirs. Des recherches dans les archives des provinces, de savantes réparations de leurs monumens, des statues élevées sur les places à tous leurs grands hommes, attestent au contraire qu’on tient partout à rester fils et héritier de ses pères. Que manque-t-il à ce mouvement pour se développer ? Des organes naturels qui l’expriment, un corps savant qui se mette à la tête, ayant des racines dans le sol, et non composé d’érudits et de lettrés de passage. J’entends déjà des gens qui s’inquiètent pour l’unité de l’esprit français. Qu’ils me permettent de ne pas partager ces alarmes. Je ne crains pas pour l’unité du génie de la France après Louis XIV et Voltaire ; mais je craindrais bien plutôt qu’à force d’effacer la patrie sensible, celle qu’on voit de l’œil et qu’on touche