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à la différence des instituteurs actuels, qui, inamovibles comme ils le sont, et n’ayant aucun avancement à attendre, sont à la fois privés de jouissances, de crainte et d’espoir. Ils se retrouveraient ainsi placés dans les conditions naturelles de leur destinée, et la société ne leur avant rien promis ni rien ôté, mais donné quelque chose, il est à croire qu’ils ne lui en voudraient pas si fort.

C’est ainsi, pensons-nous, qu’on pourrait appliquer avec avantage, dans la sphère de l’éducation primaire, la règle que nous nous sommes posée en commençant. Les maîtres d’école ainsi préparés ne perdraient jamais de vue ni leur profession future ni leur toit paternel. L’éducation secondaire, il faut en convenir, se prête beaucoup moins aisément à de pareilles combinaisons. Les enfans qui viennent recevoir l’éducation secondaire ne peuvent avoir, à l’âge tendre où elle les prend, aucune carrière bien déterminée. Leur en fixer une avant de les avoir éprouvés serait un attentat de la société à leur liberté future, une entreprise sur les secrets de la Providence, qui a pu déposer dans leur cerveau les germes d’un talent inconnu. La puissance paternelle seule a de pareils droit, et elle se sent elle-même fort intimidée pour en user. D’ailleurs, le principe démocratique, qui autorise l’ambition, permet bien qu’on essaie de la régler, mais ne souffre pas qu’on l’étouffe. Tout en reconnaissant, par conséquent, qu’il serait raisonnable, pour la plupart des pères de famille, surtout dans les fortunes moyennes, de borner de bonne heure les espérances de leurs enfans à l’héritage de leur propre profession, où ils pourraient leur procurer des débuts faciles, il faut confesser que la loi n’a aucun moyen de les y contraindre. Elle doit respecter jusqu’aux illusions de leur amour. Le principe démocratique, nous le reconnaissons, exige une certaine uniformité au début de l’éducation, et cette éducation uniforme ne peut être autre que l’éducation littéraire, la seule qui, par son influence générale, ouvre et façonne l’esprit à toutes sortes d’études. Il s’ensuit que c’est bien, en effet, par les lettres, comme aujourd’hui, que doit commencer habituellement l’éducation secondaire, jusqu’à ce que les vocations se soient fait jour, jusqu’à ce que les facultés diverses aient montré leurs tendances, jusqu’à ce que les qualités inégales aient pris leur niveau, jusque-la, disons-nous, mais pas un jour de plus.

Or, ce que nous reprochons à l’éducation secondaire actuelle, c’est de prolonger beaucoup puis long-temps qu’il ne faut cette uniformité fâcheuse, mais indispensable au premier degré. Pour savoir à quoi un enfant est propre, quel emploi peut mettre ses facultés en valeur, il peut être nécessaire de commencer par les mettre à l’épreuve, mais il n’est pas nécessaire d’attendre qu’il ait dix-huit ans, et de l’avoir fait passer par un cours de philosophie. Bien avant un pareil âge, il n’est