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les fidèles d’une contrainte qui pesait à beaucoup, ils ne changeaient rien au dogme ; mais il n’en fut pas long-temps ainsi : quoique le fond de la doctrine morale des universalistes fût ce principe, qu’il ne faut juger personne et toujours espérer bien de tous ses frères, il fallait déterminer quels étaient les points essentiels de la foi dont on ne pouvait se départir sans cesser d’être croyant. On rejeta peu à peu la doctrine d’une faute originelle et de la gratuité du salut, et conséquemment la nécessité de la rédemption par le sang du Christ et de la régénération de l’ame par le Saint-Esprit, dispensateur de la grace. On cessa de rappeler et bientôt d’admettre que le Fils et le Saint-Esprit aient quelque chose à faire dans l’œuvre du salut : l’universalisme aboutissait ainsi aux doctrines sociniennes ; il se développa sous l’influence de la propagande anglaise, et, vers 1812 ou 1815, il prit franchement le nom d’unitarisme. Il possédait déjà un nombre considérable d’églises dans la Nouvelle-Angleterre.

Le succès des unitaires n’était pas dû seulement à l’attrait d’une doctrine qui, en allégeant la rigueur des pratiques, retranchait en même temps plusieurs des dogmes qui exigent la soumission de la raison à la foi ; le talent des ministres unitaires y entra pour beaucoup. Ils étaient, ils sont demeurés encore fort supérieurs, en savoir et en talent, aux ministres de toutes les autres croyances. L’unitarisme est la seule secte qui, en Amérique, ait produit un mouvement littéraire et théologique de quelque valeur. Elle n’a pas eu seulement la meilleure revue et les meilleurs journaux religieux du pays ; elle peut s’enorgueillir d’avoir donné dans Norton, auteur de l’Authenticité des Evangiles, un théologien de premier ordre, dans Henry Ware et dans Dewey des prédicateurs distingués, dans Channing un grand prédicateur et l’écrivain le plus éloquent des États-Unis. Elle petit revendiquer en outre une partie des écrivains et des hommes politiques éminens des États-Unis.

Tous les unitaires dont nous venons de donner les noms ne professent pas exactement les mêmes opinions. Le principe d’incrédulité qui est au fond de cette doctrine n’a pas manqué de se développer. Les premiers unitaires américains admettaient et défendaient l’Évangile ; ils acceptaient les miracles par confiance en la clairvoyance et la bonne foi des apôtres ; et comme un témoignage rendu par Dieu à la vérité de l’Evangile. Bientôt ils admirent que les auteurs du Nouveau Testament, par suite de la faiblesse humaine, n’avaient pas été inspirés de telle sorte qu’ils fussent à l’abri de toute erreur de fait ou de raisonnement. Les passages invoqués pour démontrer la Trinité, et relatifs à la divinité du Christ et à la personnalité du Saint-Esprit, leur paraissaient des corruptions de la parole divine et le résultat d’une interprétation erronée : ils prenaient pour critérium de la vérité de l’Evangile le jugement de la raison humaine.