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que dans l’Ohio l’instruction est beaucoup moins générale que dans le Massachusetts et qu’en Europe, et qu’elle y est surtout d’un ordre beaucoup moins élevé, un auteur américain, après nous avoir au préalable traité de misérable calomniateur, ne manquerait pas de nous opposer triomphalement, l’almanach à la main, les six mille écoles de l’Ohio et ses douze collèges ou académies. Ces chiffres sont rassurans pour l’avenir, et ne prouvent rien quant au présent. Pour évaluer avec quelque précision la somme d’instruction supérieure disséminée dans cette population de plus d’un million d’ames, ce qu’il importe de savoir, c’est depuis combien de temps ces collèges existent, combien ils ont d’élèves, et surtout combien ils en ont formé. L’Ohio, que nous prenons toujours comme exemple, parce que, de tous les jeunes états, il est le plus avancé, date comme état de 1802 ; il avait alors quinze années d’existence ; le premier de ses douze collèges date de 1809, et demeura unique jusqu’en 1819 ; les autres ont été fondés successivement dans la progression d’un tous les trois ans. Aussi n’ont-ils encore formé tous ensemble qu’environ mille cinq cents élèves ; ils en avaient en 1848 un peu moins de neuf cent en cours d’instruction, et aucun des douze n’a une bibliothèque qui arrive à neuf mille volumes.

Il est facile de comprendre que, si la génération qui défriche un pays et y bâtit les premières maisons fonde aussi des écoles, elle n’en profite pas pour elle-même et n’en peut faire profiter que ses enfans, La seconde génération ; qui a reçu dans ces écoles l’instruction primaire, fonde à son tour des collèges et des universités, dont profite la troisième. C’est alors seulement, et au bout d’un temps assez considérable, que les hommes ayant reçu une éducation libérale commenceront à se multiplier, et que les élémens d’une véritable culture intellectuelle et morale se répandront dans le pays. Les hommes très distingués continueront à être encore des exceptions, parce que, suivant la remarque qu’en fait M. Carey dans un de ses ouvrages, chaque fois qu’un prédicateur, un légiste, un médecin a acquis des talens de premier ordre, il a tout intérêt à quitter les jeunes états pour les anciens, où la population est plus dense, et où il est assuré de trouver un théâtre plus digne de lui et une clientèle plus nombreuse et plus riche.

Il faut donc compter que l’espace de trois ou quatre générations est nécessaire pour que les jeunes états puissent se suffire sous le rapport intellectuel et moral, pour qu’ils trouvent parmi leurs propres enfans un noyau qui fournisse au recrutement des professions libérales, pour que leurs universités soient en mesure, non plus de soutenir le niveau de l’instruction générale, mais de l’élever. Aussi le progrès rapide et universel de l’Union américaine ne pourrait-il s’expliquer sans le concours que les états plus anciens prêtent aux plus jeunes. C’est l’enseignement