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ne peut atteindre ni devoir celle qui la précède. Ainsi voyons-nous la civilisation s’étendre et se développer graduellement aux États-Unis, où personne ne s’est érigé en censeur et encore moins en pédagogue de la société, où personne n’entreprend de tracer au progrès de tous une voie plus prompte et plus sûre : que celle qu’il suit naturellement sous l’impulsion divine. C’est un flot qui s’étend de l’est à l’ouest, gagnant chaque jour du terrain, mais perdant en profondeur à mesure qu’il s’éloigne du point de départ. La marche de ce flot humain est tellement sûre et tellement régulière, qu’on peut la calculer d’avance, et, par la comparaison de deux périodes décennales écoulées, déterminer avec certitude les résultats de la période actuelle. La civilisation suit la même marche que la population. La portion la plus rude et la moins cultivée du peuple américain sert de pionniers à la nation entière, et se civilise à mesure par l’arrivée des émigrations postérieures. Le bûcheron à demi sauvage de l’Iowa ou du Wisconsin apprend de l’émigrant de l’Ohio le respect de la loi ; la population active et entreprenante de l’Ohio reçoit de la Nouvelle-Angleterre l’élément qui développe dans son sein le goût du bien-être, des habitudes plus raffinées, la curiosité et l’aptitude pour les jouissances intellectuelles. La Nouvelle-Angleterre, à son tour, entretient et conserve sa supériorité par ses relations continuelles avec le vieux monde et par l’effort et le progrès naturels d’une société déjà avancée.

M. Michel Chevalier, dans ses Lettres sur l’Amérique, a insisté avec raison sur la différence profonde qui sépare aux États-Unis l’homme du nord et l’homme du sud, et qui constitue sur le même sol non pas deux races, mais deux variétés très distinctes. Les voyageurs qui ont suivi M. Chevalier, en constatant la justesse de cette observation de leur devancier, ont eu le tort de ne pas imiter son exemple, de ne pas distinguer à leur tour ce qui a aujourd’hui besoin d’être séparé, et de confondre dans une seule et même appréciation les états voisins de l’Atlantique et les états de l’ouest. En effet, les vieux états soit du nord soit du sud, donnent issue les uns et les autres à une émigration incessante qui se dirige vers l’ouest et qui laisse sur son passage des couches de moins en moins épaisses de population et de lumières. Si vous prenez pour point de départ la Nouvelle-Angleterre et la Virginie, vous pouvez établir deux échelles descendantes où la richesse, l’instruction, l’état matériel du culte et de ses ministres, la densité de la population, la sûreté des personnes et des choses, suivront une progression décroissante. Ces deux échelles seraient à peu près celles-ci : pour le nord, Massachussets, New-York, Pensylvanie, Ohio, Indiana, Illinois, Michigan, Iowa, Wisconsin ; pour le sud, Virginie, les deux Carolines, Kentucky, Tennessee, Alabama, Mississipi, Arkansas et Texas.