Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 4.djvu/653

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

reçu en présent de Mme  de Maintenon elle-même. Le prince l’avait donné à M. Craufurd.

Un troisième portrait de Mme  de Maintenon, faisant partie de la galerie de ce même amateur anglais, était attribué à Louis Boullongne. Françoise d’Aubigné y était représentée assise près d’une colonnade à l’entrée d’un parc, tenant embrassé le petit duc du Maine. Les figures étaient entières, mais moins grandes que nature.

Or, dans toutes ces têtes, le nez légèrement aquilin se recourbe, et le bout en fait disparaître la cloison. J’ai même vérifié que Ficquet, en sa gravure, a un peu atténué cette forme plus marquée sur les originaux, tandis que dans le Petitot gravé par Mercuri, et qui représente Françoise d’Aubigné à vingt-cinq ou trente ans, le nez se relève. Une pareille différence est bien faite pour embarrasser, au premier aspect, sur l’identité du personnage. Avant d’aller plus loin, mettons le graveur hors de cause. S’il y a eu faute quelque part, elle n’est point de son fait : la délicieuse gravure de Mercuri est le Petitot tel quel ; rien de plus, rien de moins. D’un autre côté, je savais à l’avance qu’il n’y avait nul secours à attendre de l’examen de l’émail même, attendu que pas un des émaux de Petitot qui sont au Louvre (je les ai tous vus et maniés autrefois hors de leur cadre officiel), pas un, ni sur la face peinte, ni au revers, ne porte le nom du personnage représenté ; pas un même n’est signé du peintre. Le talent de Petitot signe pour lui, et, par parenthèse, je soupçonne fort d’être apocryphes les Petitot qui courent, par ce temps de contrefaçon, signés en toutes lettres ne varietur, comme ce tableau portant l’inscription fameuse : « Ceci est un cheval. »

On voit au musée du Louvre trois émaux de la main de Petitot représentant Françoise d’Aubigné bien avant sa royauté voilée. Le premier, qui a été gravé par Laugier, trois fois plus grand que l’émail, la donne à l’âge de dix-huit à vingt ans, quand elle était la femme de Scarron. C’est une figure d’IHébé dans le suprême éclat d’une beauté fine et délicate, coiffée de fleurs, la perle au cou, une guirlande de fleurs naturelles bordant la robe et s’épanouissant sur la poitrine. Le second est celui du livre de M. de Noailles. C’est encore Mme  Scarron et non pas Mme  de Maintenon, car Françoise d’Aubigné, devenue veuve, en 1660, à vingt-cinq ans, ne prit le nom de Maintenon qu’en 1675, alors qu’elle avait accompli ses huit lustres[1]. Le troisième portrait, enfin, représente une femme belle de sa seconde jeunesse, la tête coiffée du voile de veuve. Le front, les yeux, les sourcils, semblent être les mêmes que dans les deux premiers émaux : même forme de nez, c’est-à-dire que la cloison, descendant fort bas, laisse voir les narines ouvertes et relève le bout du nez ; mais les cheveux sont plus foncés, et la figure plus pleine fait différer de beaucoup la physionomie. Je ne reconnais pas non plus la bouche. En résumé, j’avoue qu’il y a dans ces détails et dans le tout ensemble trop de dissemblances pour que je ne redoute point là encore une attribution hasardée.

Je cherchais où frapper pour retrouver le type de ces trois émaux, quand le hasard me fit tomber sous la main une collection de ces thèses de théologie, de philosophie et de jurisprudence, qui, au XVIIe siècle, avaient tant d’éclat.

  1. Le portrait du livre de M. le duc de Noailles aurait donc dû être intitulé Madame Scarron. Le nom de Maintenon est une sorte d’anachronisme.