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La plus belle collection de crayons du XVIe siècle qui ait existé après celles de la Bibliothèque nationale et de la bibliothèque Sainte-Geneviève, c’est la collection, malheureusement aujourd’hui disséminée, du courageux peintre archéologue Alexandre Le Noir. L’ardeur savante de cet homme vraiment artiste avait réussi à sauver, en les mettant sous l’égide de l’art et de l’histoire, quantité de crayons du plus beau temps avec d’autres effigies de tout genre. Il les avait achetés pour sa collection privée partout où les héros de la terreur violaient les palais, les châteaux, les cabinets particuliers et les tombeaux. Plusieurs bibliothèques de province possédaient aussi de précieux crayons ; mais la plupart des conservateurs ignoraient la valeur de ces trésors. On aura peine à croire, par exemple, ce qui s’est passé à Nancy il y a dix à douze ans. La ville était devenue, on ne sait à quel titre, propriétaire d’un certain nombre de ces crayons provenant de la collection célèbre du comte de Béthune, et dont plusieurs portaient l’inscription suivante : Fait par et pour Daniel Du Monstier. Un certain Alnot, cuisinier maître d’hôtel de son état, nommé conservateur du musée à raison de son goût pour les vieilles toiles, eut l’idée de proposer de se défaire de ces ombres de portraits. Le conseil municipal, composé d’honnêtes marchands de broderies, approuva le cuisinier, et les portraits, dont un célèbre amateur artiste, le baron de Schwiter, a recueilli plusieurs d’une beauté rare, furent disséminés à quinze sols la pièce.

Tous les crayons sont, je l’ai dit, pour la plupart anonymes. Aussi les questions à débattre pour donner son rang à chaque maître dessinateur, pour établir nettement l’identité du personnage représenté, entraînent-elles des difficultés graves. Toutefois, s’agit-il du siècle de Louis XIV, les recherches sont aisées, car les monumens abondent. C’est une des gloires de notre pays, une gloire unique que ne saurait nous disputer aucun peuple, d’avoir produit à cette époque, dans le genre du portrait, une myriade de graveurs tels que Claude Mellan, François de Poilly, Nicolas Pitau, Gérard Edelinck, qui reçut les conseils de ces deux derniers et les laissa si loin derrière lui ; Robert Nanteuil, Antoine Masson, Pierre Drevet, Gérard et Benoît Audran, Jean Morin, Jean Pesne, Pierre Van Schuppen, Corneille Vermeulen, Jean-Louis Roullet, Jean Lenfant, Simon Thomassin, Claude Duflos, et tant d’autres dont les burins du siècle suivant ont continué le talent et la fécondité. Il était de mode alors de se faire graver ; les graveurs étaient habiles : la cause et l’effet réagissant mutuellement l’une sur l’autre, nous ont valu des chefs-d’œuvre impérissables.

S’agit-il du règne de Louis XIII, les documens peints ou gravés ne sont guère moins abondans. Au premier rang se placent la suite des portraits de Rubens et le précieux recueil gravé sous les yeux de Van Dyck d’après ses portraits, et dans lequel se trouvent dix-sept ou dix-huit eaux-fortes de sa main. Il y a d’après lui encore un autre recueil intitulé les Comtesses, lequel contient une douzaine d’effigies de femmes avec deux hommes. Les collections de Moncornet, de Daret, de Boissevin, de Van der Werff, de Houbracken, sont encore à consulter avec quelques autres qu’il serait trop long d’énumérer.

Que si l’on veut remonter de degré en degré jusque vers la renaissance, jusqu’à François Ier, la marche du curieux et de l’artiste est, pour la France, moins facile et moins sûre. Il nous faut le céder à l’Italie pour le nombre et pour l’importance des portraits peints. Ainsi, le palais ducal de Florence possède