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On leur donna, à cause de leur mode d’exécution, le nom de crayons, que le temps a consacré.

Généralement, dans ces crayons, la franchise de la pose, la fidélité du costume, le disputent le l’ingénuité à la fois fine et délicate de la physionomie. On voit à je ne sais quel accent d’individualité que c’est la nature prise sur le fait. C’est, en un mot, la ressemblance du miroir, mais sans exclusion des privilèges de l’art véritable, à savoir le choix, le caractère, le style, le sentiment propre du dessinateur, un rayon d’idéal qui glisse sur la réalité de l’image. Nos bibliothèques publiques et les cabinets particuliers possèdent des recueils nombreux de ce genre d’effigies. Voilà encore une de nos gloires méconnues à relever, et dont les matériaux menaçaient de s’annuler dans l’éparpillement, le pêle-mêle et l’obscurité ; voilà donc aussi des sources précieuses de documens iconologiques. Cependant, si abondantes qu’elles puissent être, ce sont des sources qui demeureraient muettes, si une sagacité courageuse et sévère ne savait rendre la vie aux monumens qui les composent et qui sont presque tous, sans noms de personnages et d’auteurs. Il n’est pas douteux qu’il n’y ait là une chaîne de plusieurs générations d’artistes dont il faut savoir retrouver les anneaux. Une coupable paresse d’esprit pourrait seule attribuer en masse à Janet et à l’un des Du Monstier ces œuvres anonymes qui suivent pas à pas la période historique si colorée et si vivante de François Ier à Louis XIII, un siècle plein, et qui, chemin faisant, passent par toutes les révolution du goût. Plus les crayons s’éloignent des origines de la renaissance, plus ils laissent sur la route l’affectation du contour, la gothique négligence, du modelé ; plus aussi, en revanche, ils prennent du corps sous le feu de la couleur et donnent au modelé de l’accent et de la force. En définitive, ces crayons qu’étaient-ils ? des études précieusement tracées d’après nature et destinées à l’exécution de peintures à l’huile, comme le recueil si connu des portraits de la cour de Henri VIII par Holbein ? ou bien des cartons offerts au pinceau des émailleurs ? ou bien encore un art particulier qui ne cadrait qu’avec lui-même et ne s’ajustait à aucun autre art ? Je crois qu’ils étaient à l’occasion tout cela, et que cet art perpétué est le père du pastel dont nous avons tant de chefs-d’œuvre, et dont l’histoire commencerait à Janet pour continuer à Nanteuil et à la Rosalba, finir à l’inimitable de Latour et s’éteindre en sa pâle copie, Mme  Vigée-Le Brun. Le crayon a tout le parfum d’un art national, car lorsque Fréminet, ce singe maladroit de Michel-Ange, préconisa la grande manière ; quand les élèves de Vouet, Le Sueur excepté, se pressaient en extase, chez le premier maréchal de Créquy, autour des tableaux du Guerchin, du Guide, de l’Albane et des autres divinités du jour, célébrées par leur maître, le crayon persistait dans sa naïve simplicité sans prendre le mot d’ordre de personne, sans prétendre agrandir la nature en la maniérant. Ce fait est d’autant plus remarquable, que, sous l’art des petites compositions peintes de Janet, on voit transpirer le sentiment italien, comme la nacre transparaît à travers une mer limpide. Les rares peintures de ce même artiste et ceux de Du Monstier se rapprochent davantage de la naïveté de leurs crayons. On retrouve le même caractère dans nos vieux maîtres de Troyes, de Tours et de Toulouse, types charmans, si peu connus depuis que leurs plus beaux ouvrages ont péri, en 1661, dans l’incendie qui consuma, au Louvre, la galerie dite des Rois.