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l’équateur, a surgi, comme par enchantement, la belle habitation de Soamandrakizay. Rien n’y manque de ce que la nature des tropiques peut offrir pour charmer les yeux et l’imagination, ni les bassins naturels où abonde un excellent poisson, ni les lacs encaissés dans un humus profond que recouvre un épais tapis de verdure, ni les bosquets de canneliers et de girofliers, ni le panache des palmiers et des cocotiers ni les touffes pliantes des bambous, ni les flèches aériennes de l’aréquier, ni les vergers où fourmillent les caféiers, l’arbre à pain, les manguiers, le lichi, les vanilliers et le bétel. C’est par millions de kilogrammes qu’il faut compter le sucre produit dans ces établissemens, dont les ateliers de Derosne et Cail ont fourni les machines. Enfin, dans les postes de traite, les bœufs arrivent par milliers, et le riz suffirait à charger de nombreux navires, si les côtes n’étaient pas fermées hermétiquement au commerce. Voilà ce qu’un de nos compatriotes a su faire, malgré les incessans obstacles d’une barbarie ombrageuse et défiante, et son nom n’est même pas connu dans notre pays, et la France n’a pas une pensée pour Madagascar, et notre pavillon flotte inutile dans le vague de ces mers ! Ah ! quand sir James Brooke est allé à Bornéo exécuter ce que M. Delastelle a fait à Madagascar, il savait qu’il avait derrière lui sa patrie, et que là où il mettait le pied et fondait un intérêt anglais, l’Angleterre y mettait le pied aussi, et fondait avec lui, et le couvrait de son pavillon de souveraine.

Au milieu de cette inattention un peu dédaigneuse de la métropole, l’administration locale de Bourbon, à qui un instinct sûr révèle que la colonie n’a d’avenir qu’en s’appuyant sur Madagascar, a su préparer des voies à la conquête par la prise de possession de Mayotte et Nossi-Bé. Si nous n’avions à considérer Mayotte et Nossi-Bé que d’un point de vue colonial, comme succursales de Bourbon, comme lieux de consommation et de production pour la France, qu’aurions-nous à en dire ? ces deux établissemens disparaîtraient dans le même dédain qui enveloppe Madagascar à nos yeux ; mais, dans un accès de la politique d’imagination qui semble si bien convenir à notre pays, nous avions rêvé pour Mayotte de grandes destinées. Ne l’avons-nous pas fait miroiter un jour comme un nouveau Gibraltar que la France allait élever sur la grande route du commerce de l’Inde, d’où nous pourrions tenir en échec les forces navales de la Grande-Bretagne ? En un mot, l’île Mayotte n’allait-elle pas remplacer pour nous l’île de France ? Effaçons cette illusion. On traverse facilement de Bourbon à Nossi-Bé ; sept jours même suffisent pour se rendre à Mayotte, et le vent et les courans nous y portent. Nossi-Bé, sur la côte occidentale de Madagascar, est pour nous ce qu’est Sainte-Marie sur la côte orientale. Voulons-nous tenter une expédition contre la grande île, attaquer corps à corps la puissance