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tortue de mer qui montait à la plage pour y déterrer ses oeufs et emmener ses petits éclos. Tel est l’instinct de ces animaux ; ils déposent leurs oeufs dans le sable, au-delà de la limite extrême qu’atteignent les vagues de la mer, dans une exposition favorable pour recevoir les rayons du soleil, et, cinquante jours après, sans le moindre retard, ils viennent les déterrer. Au moment où la couche de sable qui les recouvrait s’enlève, les jeunes tortues rompent leurs coquilles et marchent en file à la suite de leur mère, qui les conduit à l’eau. Dès qu’elles ont touché le flot, elles s’attachent au ventre de leur mère, qui les emporte au large.

Le capitaine, marcha vers la tortue à pas de loup, la retourna sur le dos et se tint en sentinelle pour la garder. Au jour, il se mit en devoir de la dépecer ; elle était énorme il lui fallut de grands efforts ; enfin il y parvint, la trouva fort grasse et bien à point. Il fit cuire la chair, qui lui parut excellente, et conserva la graisse, qui, mise dans les écailles des petites tortues avec des fibres de cocotier en guise de mèche, lui servit en lampion, en veilleuse et en lustre. Il eut facilement du sel par l’évaporation de l’eau de mer ; l’écaille de la grosse tortue lui servait de marmite. L’eau de coco le fatiguait : il creusa un puits dans le sable et se procura de l’eau douce. Bientôt il lui fallut laver son linge ; mais jamais il ne put se décider à rester nu un seul instant : il ne lavait son pantalon que quand sa chemise était sèche. Enfui il écarta de son ajoupa les rats et les moustiques en brûlant et défrichant l’espace qui l’entourait ; il y fit même une sorte d’enceinte que tout animal immonde respecta. Dans ses promenades, il avait rencontré beaucoup de tourterelles qui se laissaient facilement approcher ; il leur fit la chasse à coups de gaule, et ce fut un nouveau mets qu’il ajouta à sa cuisine. Pour les faire rôtir, il les suspendait à un fil de cocotier qu’il tournait entre ses doigts, et les présentait à une flamme pétillante : il les trouva tendres, grasses, exquises. Dans le sud de l’île de la Providence s’étend un banc de coraux qui n’a pas moins de onze lieues de longueur, et qui couvre et découvre à chaque marée. Quand la mer se retire, le poisson se réfugie par masses considérables dans les creux où l’eau séjourne. Ce fut pour le solitaire une nouvelle source de jouissances et d’occupations. Chaque jour, à marée basse, il se rendait sur le récif, cherchait les réservoirs où le poisson était le plus entassé, là armé de sa manchette, il choisissait les plus délicats et les harponnait. Il fit sécher les plus convenables, et eut de la sorte un approvisionnement qui le rassura sur sa subsistance.

Ce qui préoccupait surtout le pauvre solitaire, c’était l’idée de sortir de son île. Chaque matin, il passait de longues heures sur le rivage, près du lieu où son navire avait disparu : mille appréhensions douloureuses traversaient son esprit ; parfois il pensait que peut-être