Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 4.djvu/593

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec la feuille desséchée qu’ils couvrent leurs cabanes ; fraîche, ils s’en servent comme de vase pour boire l’eau de la fontaine, de plats ou d’assiette pour manger leurs racines et le peu de riz qu’ils peuvent se procurer les jours de fête, et aussi pour recueillir et serrer leurs graines et diverses provisions. On voit encore autour des cabanes une chèvre attachée à un piquet, des poules dont ils portent les oeufs à la ville pour acheter des outils et des objets de première nécessité. L’ameublement des cases est d’une simplicité presque sauvage : une marmite en terre que la femme établit sur deux pavés pour faire cuire les alimens de la famille, une natte grossière jetée sur un tas de feuilles sèches pour servir de lit, quelques instrumens de labourage, de chasse ou de pèche, des lignes, des rets, des lac et des raquettes pour prendre les petits oiseaux, quelquefois enfin un coffre grossier où l’on serre toutes les richesses de la cabane. Leur habillement ne va pas au-delà de l’indispensable : un chapeau de latanier, une chemise et un pantalon de toile bleue de l’Inde pour les hommes, une robe de même étoffe pour les femmes, voilà toute leur garderobe. La vie n’est guère pour eux qu’une longue oisiveté ; ils la laissent couler comme l’eau de leurs fontaines, sans chercher à l’arrêter ni à l’utiliser. Ils passent les jours à jouer ou à se reposer, étendus dans leur cabane. Souvent, quand on s’approche des cases, on les trouve réunis au son de quelque accordéon, dont ils font leurs délices. Ils emploient des semaines entières à épier un cabri sauvage sur la crête des montagnes, ou une espèce de petit renard, seul animal originaire de l’île. Rien n’égale leur patience à cette chasse ou à la pêche : immobiles sur quelque pointe de rocher, on les prendrait pour des êtres pétrifiés ou pour des oiseaux de mer endormis. Petits de taille, de formes grêles, presque sans force musculaire, ils sont d’une agilité remarquable. Ils grimpent comme des singes, en s’accrochant aux lianes, le long des escarpemens à pic de leurs rochers, et franchissent ainsi des montagnes qui n’offrent à l’œil que des faces verticales hautes de plusieurs centaines de pieds. Leur timidité est excessive ; ils semblent fuir sous le regard. Rarement on les rencontre seuls ; ils vont par couples, le mari en avant, un bâton à la main, la femme suivant de près, d’un air soumis, et portait sur sa tête toute la charge du voyage ; on sent qu’elle est esclave. L’indépendance du vagabondage semble être l’ame et le besoin de leur existence. En vain s’est-on efforcé de les attacher à quelque travail régulier, au bout de quelques jours ils s’échappent, on ne les revoit plus. Ils ne craignent qu’un seul châtiment, c’est d’être condamnés à casser les pierres des routes. La menace de cette condamnation est le plus puissant moyen pour les retenir dans le respect de la loi. Cette population, si curieuse à observer, n’est point un débris de quelque race aborigène, s’effaçant ou s’éteignant peu à peu devant les