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et visant à des buts contraires, travaillant en commun à la chute du ministère Narvaez, les amis du roi pour rétablir le despotisme, ceux de la reine pour donner les rênes de l’état à des hommes qui leur seraient dévoués et qui se prêteraient à leur cupidité et à leur ambition. L’explosion de ces mines eut lieu le 12 de ce mois. Voici un récit très exact des événemens de cette journée à jamais mémorable dans les fastes du ridicule. — La reine reçut, vers les trois heures de l’après-midi, un billet de son auguste époux, dans lequel, se rapportant à des entretiens antérieurs, il lui disait que le moment était arrivé de renvoyer les ministres, qu’ils abusaient de la confiance de sa majesté, qu’ils gaspillaient le trésor, et enfin qu’ils s’étaient rendus indignes de la confiance du trône. Ce billet fut remis par la reine au comte de Pino Hermoso, chef de la maison du roi, pour qu’il le montrât à son frère, le marquis de Molins, ministre de la marine. Celui-ci s’empressa de le communiquer au duc de Valence, qui se rendit immédiatement au palais. Les deux reines, le roi et le duc de Rianzarès se trouvaient réunis. Le président du conseil fut introduit et présenta immédiatement sa démission et celle de ses collègues ; mais la reine-mère et son époux s’opposèrent vigoureusement à cette résolution, sur laquelle le roi insistait, comme sur une affaire de conscience. Les argumens les plus forts, les remontrances les plus amères, les reproches d’ingratitude, d’ignorance des affaires publiques, de servilité envers son confesseur, rien ne put l’ébranler. La jeune reine gardait le silence, pleurait de temps à autre, et, quand on la pressait pour qu’elle mit un terme à cet état de choses, elle disait : Je ne ferai que ce que Paquito voudra. » Enfin, le duc de Valence se retira, et quelques minutes après, tous les ministres envoyèrent leur démission. Rien n’est comparable à la stupeur, à l’étonnement, aux éclats de rire qu’excita dans le public la liste des nouveaux ministres, qui commença à circuler dans la ville vers les cinq heures du soir. C’étaient : pour la présidence du conseil et le ministère de la guerre, le comte de Clonard, général obscur, connu seulement par son fanatisme religieux et sa dévotion outrée ; — pour l’intérieur, le général Trinidad Balboa, célèbre par les horribles assassinats commis par ses ordres, lors de son commandement dans la Manche contre les factieux : il a publiquement accusé d’avoir fait fusiller des femmes enceintes et des enfans en bas âge ; — pour les finances, don Vicente Armesto, entièrement inconnu dans le monde politique, employé inférieur dans un bureau de comptabilité, à 3,000 fr. d’appointemens ; — pour la justice, don Jose Manresa, avocat sans procès, que nous appelons de guardilla (mansarde), homme obscur, ignorant et ridicule : huit jours avant son élévation, il avait été condamné à trois mois de prison et à une amende comme calomniateur ; pour l’exécution de cette sentence, on n’attendait que l’approbation d’une cour supérieure ; — pour les affaires étrangères, don Salvador Zea Bermudez, et pour la marine, don José Bustillos, tous deux absens : ils n’ont pas trempé dans le complot, et on ne les a nommés que pour se donner le temps d’en nommer d’autres.

Le duc de Valence, accompagné d’un aide-de-camp, l’un et l’autre habillés en bourgeois, — se promenait ce soir-là par les rues de la capitale. En traversant la Puerta del Sol et le Prado, il fut l’objet d’une ovation bruyante. Tout le monde s’empressa de le saluer et de le féliciter. En rentrant chez lui, il trouva