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véritable pouvoir, c’est-à-dire de fonder l’avenir et de le garantir contre les orages populaires. Or, qui est prêt à fonder cet avenir ? qui en a les moyens ici ou hors d’ici ? Un coup de main qui n’aura pas de lendemain ou qui n’aura pour lendemain que le triomphe de la république rouge, personne n’en veut ; personne ici et hors d’ici ne veut mettre à la loterie et courir les aventures. Tout le monde a un grand avenir à risquer, l’avenir qu’autorise dans les uns un illustre passé, et dans les autres un présent qui s’honore de grands services rendus. Pourquoi risquer témérairement cet avenir ? Et qu’on ne dise pas que cet avenir ne peut pas appartenir en même temps à tout le monde : nous répondons que dans l’avenir d’une société régulière et hiérarchique, il y a chance pour que tout le monde trouve sa place, tandis que dans une catastrophe universelle que rendrait inévitable un coup de main tenté imprudemment, il n’y a de chances pour personne. Aussi adhérons-nous, de grand cœur à tout ce qui prolongera et consolidera l’heureux intérim où nous nous trouvons en ce moment, et nous n’avons parlé de ces projets de changement dans le gouvernement que pour tenir la chronique au courant des conversations de la ville ; car pour nous, nous n’avons aucune inquiétude, et nous ne croyons pas que personne veuille sacrifier au hasard. C’est un dieu qu’il ne faut jamais appeler, car on ne sait jamais pour qui il vient.

À l’égard du ministère, nos réflexions seraient maintenant superflues, et nous les supprimons. Le président de la république, en essayant d’une nouvelle combinaison, vient, ce soir même, de dénouer la crise qu’avaient amenée le débat sur les affaires de Rome et la retraite de M. de Falloux. Le ministère tout entier se retire, et fait place à des hommes nouveaux pris dans le sein de la majorité. Pour juger la portée de cette modification ministérielle, il faut attendre les actes du nouveau cabinet. Ce que dès aujourd’hui nous pouvons dire, c’est que le président de la république entend rester d’accord avec le parti modéré ; son message à l’assemblée législative exprime cette pensée d’union en des termes dont il n’est pas permis de suspecter la franchise.

Les questions extérieures semblent se calmer : la question turque est finie, et nous ne regrettons pas d’avoir, dès le commencement, renfermé cette question dans ses véritables limites. Nous profitons de ce calme pour nous occuper avec quelque détail de la question allemande.

Nous confessons humblement que nous avons quelque peine à nous faire une idée claire de l’état de l’Allemagne en ce moment, tant il y a de confusion, d’incertitude et de mobilité dans la conduite des gouvernemens ; nous n’osons plus parler de la pensée des populations, ne la trouvant nulle part. Peut-être nous trompons-nous ; peut-être les gouvernemens ont-ils un but, le but de revenir presque entièrement à la diète fédérale de 1815. Quant à la pensée populaire, l’Allemagne semble rentrée dans un de ces momens de calme et d’assoupissement qui suivent naturellement les grandes agitations. Nous dirions d’autres nations qu’elles sont lasses et découragées ; nous dirons de l’Allemagne qu’elle médite. Après avoir rêvé pendant quinze ans comment elle arriverait à l’unité, elle va rêver pendant, quinze ans encore peut-être comment elle n’y est pas arrivée. Quant à l’année 1848, elle aura été dans la vie de l’Allemagne ce qu’est dans la vie de chaque Allemand son temps d’université. Pendant le temps de