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mière victime de la plupart des systèmes impies, c’est la liberté ; car, pour ne point parler des hérésies qui se sont élevée dans le sein du christianisme, et pour ne point sortir des bornes de la philosophie, le fatalisme de l’idolâtrie et de presque toute la philosophie ancienne et le mécanisme de Spinoza et d’une grande partie de la philosophie moderne ont également détruit la liberté et la divinité. » Cette juste et profonde réflexion explique comment et pourquoi M. de Montalembert déteste la démagogie ; elle détruit la liberté. Avec quelle indignation l’orateur a flétri ces affreuses contrefaçons de la liberté qui sont à l’usage de nos grands réformateurs, ces orgies de la licence des méchans contre la liberté des bons, qui, dans l’ame des faibles, discréditent la liberté elle-même ! Comme il a éloquemment déploré ce doute répandu en Europe sur l’excellence des gouvernemens représentatifs et le monde tout entier, ainsi qu’il l’a si bien dit, désorienté dans sa marche et dans son espérance ! Nous ne pouvons pas croire cependant que le mal soit destiné, même dans ce monde, à l’emporter sur le bien, et que les excès de la démagogie discréditent la liberté à ce point que l’éloquence mise par la liberté au service de la raison, comme nous le voyons dans M. de Montalembert, ne parvienne pas à rétablir l’équilibre. Non, le gouvernement qui rend possibles ces belles manifestations du talent n’est pas un gouvernement chimérique, ce n’est pas une vaine et trompeuse utopie ; mais il n’est possible aussi, sachons-le bien, qu’en le maintenant à une certaine hauteur. Le suffrage universel, comme il est organisé par la constitution, a pu jusqu’ici donner des assemblées capables d’entendre le langage de la raison éloquente ; mais c’est un grand bonheur, et qu’on ne peut pas toujours espérer. Il peut venir, disons le mot, il viendra un temps où le langage que parlent M. Thiers, M. Berryer, M. Molé, M. de Broglie, M. Guizot, M. Dupin, M. Dufaure, M. de Montalembert, ne sera plus de mise dans les assemblées politiques. Et ce qui nous fait croire à cet avenir, c’est que nous en voyons déjà les signes caractéristiques, et qu’à côté du langage élevé et généreux que parle une partie de la société s’entend déjà le langage tumultueux et confus d’une autre portion de la société. Ecoutez les interruptions de la montagne. Ce sont les explosions grossières de cette nouvelle langue qui exprime elle-même une nouvelle société. Ainsi, dans la discussion du douaire de Mme la duchesse d’Orléans, M. Passy raconte les bienfaisantes intentions de la princesse, qui voulait faire distribuer aux pauvres le revenu de son douaire en 1848 ; à ce récit, la montagne interrompt et crie à M. Passy : « Vous êtes un orléaniste ! » Cela répond à tout. Le ministre croit que la France, ayant une dette envers la duchesse d’Orléans, doit la payer, et ne pas manquer à son renom de loyauté et de générosité ; la montagne crie « et de bêtise ! » Langage poli et élégant ! M. de Tocqueville, dans la discussion sur les affaires de Rome, dit que la république romaine a commencé par l’assassinat de M. Rossi. La montagne crie : « Vous mentez ! » Réfutation puissante et de bon goût ! Nous ne parlons ici que du langage de la montagne parlerons-nous de ses principes d’administration, non pas de ceux qu’elle a mis si glorieusement en pratique pendant le gouvernement provisoire ; nous ne voulons signaler que ceux qu’elle a indiqués dans cette quinzaine seulement. On a arrêté quelqu’un dans la Creuse, quelqu’un qui est mon gendre ; vite une interpellation à la tribune, afin que le ministre