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et la portée ; quand on a vu ces trois orateurs, dont les origines et les buts sont si différens, se réunir pour attaquer le rapport de M. Thiers et pour louer la lettre de M. le président de la république, il a été bien difficile de ne pas rendre pour concert ce qui n’était qu’une coïncidence, nous le croyons.

Nous laissons de côté les réflexions du général Cavaignac sur l’expédition de Rome. Il blâme à la fois ceux qui se seraient tout-à-fait abstenus de la faire, ceux qui l’auraient faite en faveur de M. Mazzini, et ceux qui l’ont faite en faveur du pape. Qu’eût-il donc fait lui-même, et quelle conduite eût-il tenue pour éviter à la fois la faute de s’abstenir et la faute d’intervenir en faveur de M. Mazzini ou en faveur du pape ? Les questions incidentes qu’a traitées M. le général Cavaignac nous semblent plus importantes que le sujet principal de son discours. Ces questions sont au nombre de trois : il croit à la prépondérance progressive en Europe du principe de la souveraineté du peuple ; il croit enfin que, dans les conflits qui pourraient s’élever entre le président de la république et l’assemblée législative, c’est toujours le président qui doit céder. Sur ces trois points, nous pensons que le général Cavaignac se trompe.

M. Cavaignac croit qu’il viendra un temps où, en Europe, le principe de la souveraineté du peuple prévaudra partout. Ce jour-là, le principe de la souveraineté spirituelle du pape sera détruit. Ici M. le général Cavaignac a évidemment pris un almanach de l’an passé pour l’almanach de l’avenir. Ceux qui confondent volontiers la minute avec l’heure ont pu croire en 1848 que la souveraineté du peuple était en train de prévaloir en Europe. En Allemagne, en Italie, en Hongrie, cette souveraineté enfantait des constitutions et des gouvernemens. Combien en reste-t-il cette année ? Si M. le général Cavaignac consent à respecter la souveraineté spirituelle du pape, tant que le principe de la souveraineté du peuple n’aura pas la majorité en Europe, il a, à ce compte, long-temps encore à la respecter.

Aux yeux du général Cavaignac, la constitution de 1848 est une arche sainte qu’il n’est pas permis de toucher. Qu’aujourd’hui il ne soit pas permis de toucher à la constitution, nous sommes sur ce point, de l’avis du général Cavaignac ; mais, dans deux ans, on pourra réviser la constitution, et on le devra. Or, si, dans deux ans, on peut réviser la constitution, et si la constitution elle-même le dit en toutes lettres, pourquoi ne pourrions-nous pas le dire ? Où est l’irrévérence ? Le premier écrivain venu peut dès aujourd’hui indiquer les défauts de la constitution, et en demander la révision. Ce que peut un écrivain, comment une commission de l’assemblée, comment un rapporteur ne le pourrait-il pas ? Faut-il que pendant deux ans encore nous nous prosternions tous devant la constitution, proclamant qu’elle est sainte et sacrée, et chantant Alleluia ? Puis, tout à coup, au bout de deux ans, nous nous relèverons, et nous abattrons l’idole que nous encensions. Et pourquoi l’abattre ? Quels sont ses défauts ? Que voulons-nous changer dans notre liturgie politique ? Pendant deux ans, nous nous sommes abstenus de penser et de parler sur ce sujet ; puis nous changeons soudainement notre vénération en haine et notre silence en malédictions. De bonne foi, est-ce là un procédé admissible ? N’est-il pas plus raisonnable