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créer ce drame impossible. M. Victor Hugo a, nous le croyons, un grand défaut pour un homme politique ; il fait ses siéges d’avance. Il apporte du cabinet son plan et sa stratégie, au lieu de les prendre sur le terrain. Il s’était imaginé que le rapport de M. Thiers contredisait la lettre du président de la république. L’invention était piquante, et, dans la salle des conférences, une fiction de ce genre peut se soutenir ; mais, au grand jour de la tribune, que devient-elle ? Il en est de la tribune comme de la scène. Quand un drame est fondé sur une combinaison impossible, quand le sujet manque de vraisemblance, tout cela peut s’admirer dans les salons et se prôner dans les coulisses ; mais quand vient la scène, le vide et le faux se laissent voir en plein, et le drame n’a plus pour lui que les applaudissemens du lustre. À Dieu ne plaise que nous comparions les applaudissemens de la montagne aux applaudissemens du lustre ! Le lustre n’applaudit que ceux qui le paient ; la montagne n’applaudit que ceux qu’elle acquiert. La seule ressemblance entre les applaudissemens de la montagne et ceux du lustre, c’est que ce sont des applaudissemens qu’on peut prévoir à coup sûr. Ils sont la récompense d’un parti pris. Ce parti pris, c’est au théâtre, la résolution de se passer de l’approbation du vrai public ; c’est, à la tribune, l’idée aussi de se passer de l’approbation de la vraie société ; c’est, des deux côtés, chercher la popularité et quitter l’estime.

Qu’a voulu M. Victor Hugo ? Se créer une situation politique ? Nous ne croyons pas qu’il ait réussi. A-t-il voulu, à mesure que M. de Lamartine semble s’éloigner de la vie politique, y entrer davantage, afin que la poésie soit toujours représentée dans les assemblées délibérantes ? Qu’il y prenne garde, la poésie n’a pas donné jusqu’ici de grandes preuves de sens et de tact politiques, et, à voir la manière dont M. Hugo l’introduit de nouveau dans les affaires, nous ne pensons pas qu’elle réussisse mieux. Avec M. de Lamartine, la poésie avait, dans la politique, l’air d’une méditation enthousiaste ; elle était lyrique, et il n’y avait que quelques sceptiques qui se permissent de penser que le poète était moins exalté que sa poésie, qu’Orphée était beaucoup moins mélancolique et beaucoup moins rêveur qu’il n’en avait l’air, et que s’il n’était pas un homme d’état, ce n’était point l’indifférence sur les moyens qui lui manquait : c’était la clairvoyance du vrai but, et c’était la droiture du jugement Voilà ce que disaient tout bas les sceptiques. Quant au grand nombre, il reprochait à M. de Lamartine d’être trop poète dans la politique. Avec M. Victor Hugo, voici non plus la poésie lyrique, mais la poésie dramatique qui entre dans la politique, et, dès son début, elle vise, comme c’est son métier, aux combinaisons, aux péripéties, à l’intrigue. Elle invente une incompatibilité prétendue entre le président de la république et M. Thiers ; elle change un membre de la majorité en un membre de la montagne ; elle veut enfin faire, en politique, ce qu’il est bon que fasse le dramaturge, qui, à certains momens du drame,

Change tout, donne à tout une face imprévue.

Les prétentions de la poésie dramatique à ce sujet ne réussiront pas mieux que celles de la poésie lyrique, et M. Victor Hugo, s’il n’y prend garde, se substituera à la défaite et au discrédit de M. de Lamartine. Il continuera un astre éteint.