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en songeant à tous les hommes éminens qu’elle sait mettre aux prises avec l’inexpérience de la grande majorité des nôtres, que cette diplomatie est organisée pour vaincre à peu près partout nécessairement. Pour ne parler que de l’Orient, il n’est point une ville importante de l’empire turc où la Russie n’ait un agent officiel, ne fût-ce qu’un simple agent consulaire, qui, sous prétexte de commerce, ne perd jamais de vue les intérêts politiques de son pays. Dans les villes comme Bucharest, Jassy et Belgrade, où la France a des agens maigrement rétribués, qui n’ont pas même toujours de chanceliers, qui d’ailleurs arrivent là en passant par manière d’avancement, sans avoir quelquefois aucune notion de diplomatie, encore moins de connaissances spéciales, la Russie a de grands consulats organisés sur le pied de nos ambassades, largement établis, occupés par des hommes de premier mérite nourris dans une longue étude de l’ethnographie, de la législation, de la théologie même, l’un des plus puissans moyens d’action dans l’Europe orientale. Une science très vaste se trouve ainsi réunie en eux au savoir-faire le plus délié et le plus hardi. Il y a sur ce terrain tel chancelier de consulat russe qui serait chez nous un docteur distingué en matière d’Orient ; et qui, par surcroît, pourrait bien apprendre à nos consuls à écrire élégamment leur langue. Si donc la Russie est favorisée d’un côté par les circonstances qui semblent conspirer en sa faveur, elle y met aussi grandement du sien, elle y consacre une prodigieuse somme d’activité et de prudence, elle y emploie l’élite de ses générations ; sa diplomatie seconde admirablement sa fortune. Voilà par quelles circonstances la souveraineté du sultan est contrariée, souvent même empêchée jusque dans le sein de ses états. Ce sera donc vainement que les dispositions des peuples chrétiens : autrefois hostiles aux Turcs, auront changé dans le sens de la paix et de l’intégrité de l’empire ; ce sera en vain que les Turcs eux-mêmes, convaincus de la nécessité de larges réformes, auront entrepris de répondre aux vœux des chrétien la conciliation, qui seule peut mettre l’empire en position de se suffire à lui-même, ne sera pas définitive tant qu’il sera permis à tel ou tel cabinet de susciter à tout propos des obstacles entre les chrétiens et les Turcs.

Par quel expédient diplomatique écarter ces abus et rendre au sultan la plénitude de sa souveraineté ? Interrogez attentivement les Osmanlis ; dans leur opinion, il en est un qui serait efficace. Il est grave, à la vérité, sans présenter cependant, pour les cabinets, l’inconvénient de la nouveauté. Déjà, en 1841, il a été appliqué à une portion de la Turquie elle-même. Quel est l’esprit de la convention fameuse de 1841 ? La neutralité des détroits substituée au protectorat temporaire que la Russie s’était attribué sur Constantinople par la convention d’Unkiar-Skelessi. Des Dardanelles et du Bosphore, il s’agirait d’étendre ce principe à l’empire entier par-dessus les divers protectorats européens. Telle serait l’ambition bien légitime et bien modeste des Osmanlis, telle est la pensée que l’on saisit sous la dignité de leur réserve. Oui, nous le reconnaissons avec eux, l’avenir de la réforme et de la conciliation tentée par le sultan est dans l’indépendance de sa souveraineté, et cette indépendance ne sera réelle qu’à la condition d’être placée sous la sauvegarde du droit des neutres. La consolidation de l’empire d’Orient est à ce prix.

Laissons de côté toute illusion ; que nous sommes loin de ce résultat ! et qu’il